Attachement à l’âge précoce (0-5 ans) et impacts sur le développement des jeunes enfants


Erasmus University Rotterdam, Pays-Bas
, Éd. rév.

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Introduction

Qu’est-ce que l’attachement? On considère que les enfants font preuve d’attachement quand ils tendent à rechercher la proximité et le contact avec un donneur de soins particulier dans des moments de détresse, de maladie et de fatigue.1 L’attachement à un donneur de soins protecteur aide les nourrissons à réguler leurs émotions négatives dans des moments de stress et de détresse et à explorer leur environnement, même s’il contient des stimuli quelque peu effrayants. L’attachement est un jalon majeur du développement dans la vie de l’enfant et demeure un enjeu important tout au long de la vie. À l’âge adulte, les représentations de l’attachement façonnent la manière dont l’adulte se sent par rapport aux tensions et au stress des relations intimes, en particulier les relations parent-enfant, ainsi que la façon dont le soi est perçu.

Développement de l’attachement

L’attachement est suggéré se développer en quatre phases.1 Au cours de la première phase — le bébé se tourne vers les gens sans distinction et leur envoie des signaux — il semble « accordé » sur certaines longueurs d’ondes de signaux provenant de l’environnement. Ces signaux sont principalement d’origine humaine (par exemple le son de la voix). Pendant la deuxième phase, le bébé développe une préférence pour un ou plusieurs donneurs de soins spécifiques, probablement tout d’abord grâce à l’odeur et ensuite à la vision. C’est la phase pendant laquelle il se tourne vers une ou plusieurs personnes spécifiques et leur envoie des signaux.  Le nourrisson entre dans la troisième phase uniquement après qu’il soit capable de manifester un comportement d’attachement actif, comme rechercher activement la proximité de la figure d’attachement et la suivre. C’est la phase de l’attachement proprement dit — rester proche d’une personne spécifique en émettant des signaux et en bougeant. Les enfants entrent dans la quatrième phase, celle d’une relation de partenariat à but corrigé (goal-corrected partnership), quand ils peuvent imaginer les plans et les perceptions du parent ou du donneur de soins et faire coïncider leurs propres plans et activités en fonction de ces derniers.

Explication des différences individuelles en ce qui a trait à l’attachement

Ainsworth et al.2 ont observé des nourrissons d’un an et leurs mères lors d’une procédure stressante normalisée, la situation étrange (Strange Situation Procedure). Ils ont utilisé les réactions des nourrissons envers le donneur de soins après une brève séparation pour évaluer à quel point les enfants avaient confiance en l’accessibilité de leur figure d’attachement. La procédure consiste en huit épisodes, dont les sept derniers durent idéalement trois minutes, mais doivent être écourtés quand le nourrisson pleure pendant plus de 15 à 20 secondes. Les nourrissons sont confrontés à trois composantes légèrement stressantes : un environnement non familier, une interaction avec un étranger et deux courtes séparations de leur donneur de soins.

On peut distinguer trois modèles d’attachement à partir des réactions des nourrissons avec le parent ou un autre donneur de soins. Les nourrissons qui concentrent leur attention sur le parent et recherchent activement sa proximité quand ils le retrouvent, communiquent ouvertement leur sentiment de stress et de détresse et réorientent leur attention sur l’environnement et poursuivre leur exploration, sont classés dans la catégorie attachement sécurisant (B). Les nourrissons qui ne semblent pas être bouleversés et qui ignorent ou évitent de trop donner d’attention au donneur de soins après l’avoir retrouvé (bien que la recherche physiologique montre leur attention accrue et leur excitation)3 sont classés dans la catégorie attachement insécurisant de style évitant (A). Les nourrissons qui se concentrent exclusivement sur le donneur de soins et maintiennent solidement un contact tout en résistant à ce contact ou qui restent inconsolables et incapables de retourner leur attention sur l’environnement sont classés dans la catégorie attachement insécurisant de style ambivalent (C). Main et Solomon4 ont proposé une quatrième catégorie en plus des catégories tripartites ABC soit l’attachement désorganisé (D), qui est attribuée en combinaison avec l’une des trois catégories organisées et est censée indiquer une attention envers le donneur de soins associée à un sentiment de crainte qui peut être ressenti comme de la peur, de la crainte ou une négligence extrême.

Une vue d’ensemble de toutes les études américaines incluant des échantillons non cliniques (21 échantillons de 1 584 nourrissons, recherches effectuées entre 1977 et 1990) montre qu’environ 67 % des nourrissons étaient classés dans la catégorie de l’attachement sécurisant, 21 % dans la catégorie de l’attachement insécurisant de style évitant et 12 % dans la catégorie de l’attachement insécurisant de style ambivalent.5 La raison pour laquelle certains nourrissons développent un lien d’attachement insécurisant alors que d’autres se sentent sécurisés constitue une des questions centrales de la théorie de l’attachement et de la recherche.

Contexte de la recherche

Le modèle de base qui sert à expliquer les différences individuelles en ce qui a trait aux liens d’attachement suppose que le parentage sensible ou insensible détermine l’attachement sécurisant ou insécurisant du nourrisson. Ainsworth2 et ses collègues ont tout d’abord défini la sensibilité parentale comme la capacité à percevoir et à interpréter correctement les signaux d’attachement des enfants et à y répondre rapidement et adéquatement. Les chercheurs ont découvert que le manque de réceptivité ou une sensibilité inconsistante étaient effectivement associés à l’insécurité chez les enfants, et que la réceptivité cohérente et empreinte de sensibilité était reliée à des liens sécurisants.6

Cependant, certains adeptes de l’approche génétique comportementale ont déclaré que la plupart des découvertes corrélationnelles sur le développement de l'enfant étaient sérieusement imparfaites parce qu’elles se fondaient sur des devis de recherches traditionnelles centrés sur les comparaisons entre les familles, et confondaient les similitudes génétiques entre les parents et les enfants avec des influences environnementales soit disant partagées.7 Par exemple, Harris8 prétend qu’il est urgent de repenser radicalement le rôle des parents dans le développement de l'enfant et de cesser d’insister sur ce rôle. Plus récemment, Plomin9 a soutenu que les parents jouent un rôle important, mais qu’ils ne créent pas de différence dans le façonnement des voies de développement de leurs enfants, sauf lors de la conception. Malgré la prévalence de ce courant de pensée, la théorie de l’attachement continue à mettre en lumière le rôle important de la sensibilité parentale, pour de bonnes raisons. Des études sur des jumeaux ou de génétique moléculaire sur la sécurité procurée par l’attachement chez le nourrisson n’ont pas mis en évidence de composante génétique notable, et des études interventionnelles à répartition aléatoire ont démontré que la sensibilité était un facteur, voir le seul, de causalité.

Questions clés pour la recherche

Les questions clés pour la recherche portent sur l’héritabilité de l’attachement, le rôle causal de la sensibilité parentale dans le développement de la sécurité de l’attachement chez le nourrisson et la transmission intergénérationnelle de l’attachement suggérant un « chaînon manquant » dans la transmission (transmission gap, en anglais). La question de l’héritabilité a été abordée dans des études sur les jumeaux comparant l’attachement de jumeaux monozygotes et dizygotes au sein de la même famille. De plus, la question de la causalité a été examinée dans des études expérimentales sur l’intervention visant à accroître la sensibilité parentale afin d’améliorer le lien d’attachement chez le nourrisson. Pour finir, les études consacrées aux représentations d’attachement chez les parents et leur influence sur les attachements du nourrisson qui sont régis par la sensibilité parentale portent sur la question de la transmission.

Récents résultats de recherche

En ce qui concerne la question de l’héritabilité, au moins quatre études de jumeaux, portant sur la sécurité de l’attachement entre la mère et l’enfant et qui utilisent le modèle génétique comportemental, ont été publiées. Trois de ces études ont documenté le rôle mineur des influences génétiques sur les différences relatives à la sécurité d’attachement et au rôle plutôt substantiel de l’environnement partagé.10,11,12 La quatrième étude, la Louisville TwinStudy,13 s’est penchée sur la qualité de l’attachement chez des paires de jumeaux à l’aide d’une procédure de séparation-réunion conçue à l’origine pour évaluer le tempérament. Les facteurs de l’environnement partagé jouent un rôle considérable dans l’attachement (presque 50 % dans l’étude Bokhorstet al.)12 Les différences individuelles dans les liens d’attachement du nourrisson sont principalement attribuables à l’éducation plutôt qu’à la nature, bien que pour l’être humain la tendance à s’attacher soit universelle et innée. Aux stades ultérieurs du développement de l’attachement, les différences génétiques propres à l’attachement peuvent s’accentuer, comme l’ont démontré Fearon et son équipe sur un grand échantillon de jumeaux adolescents.14 Dans leur quête de différences dans la structure de l’ADN associées à l’attachement du nourrisson, ils n’ont pas été en mesure de retracer d’influence sur le niveau d’expression des gènes dopaminergiques, sérotoninergiques ou de l’oxytocyne ni lors des analyses conduites à l’échelle du génome (le polymorphisme mononucléotidique).15

Le parentage sensible est-il l’ingrédient clé de l’environnement partagé? Dans 24 études aléatoires sur l’intervention (n = 1 280) menées avant 2003, les chercheurs ont évalué la sensibilité parentale et la sécurité de l’attachement comme mesure de résultat. En général, l’insécurité de l’attachement semble plus difficile à modifier que l’insensibilité maternelle.  Quand les interventions réussissaient mieux à améliorer la sensibilité parentale, elles réussissaient aussi mieux à augmenter la sécurité de l’attachement, ce qui appuie expérimentalement la notion du rôle causal de la sensibilité dans la formation de l’attachement.16 Les essais contrôlés à répartition aléatoire réalisés au cours des 15 dernières années semblent soutenir cette conclusion, mais une méta-analyse systématique demeure en suspens.

L’hypothèse relative à une transmission intergénérationnelle de l’attachement est étudiée depuis plus de 25 ans, avec un intérêt particulier pour le « chaînon manquant » dans la transmission (transmission gap, en anglais). Le modèle de transmission intergénérationnelle peut se résumer par la proposition selon laquelle la sécurité générée par la représentation de l’attachement des parents influence le degré de la sensibilité qu’ils accordent à leur nourrisson, qui à son tour façonne la sécurité de l’attachement du nourrisson envers ses parents. Bien que de nombreuses données étayent ce modèle médiationnel, ce dernier laisse de la place pour d’autres mécanismes que la sensibilité, puisque le chaînon manquant dans la transmission persiste et demeure visible.17 Combler ce chaînon manquant a représenté un enjeu majeur. Mais, par la combinaison de nombreux ensembles de données rattachés à ce problème dans le cadre d’une démarche méta-analytique des Données individuelles des participants (DIP), il serait possible de résoudre une partie de ce chaînon manquant épineux.18

Conclusions

L’attachement, le lien affectif du nourrisson au parent, joue un rôle central dans la régulation du stress dans des moments de détresse, d’anxiété ou de maladie. Les êtres humains naissent avec la tendance innée à s’attacher à un donneur de soins protecteur. Mais les nourrissons développent différentes sortes de liens d’attachement : certains développent un attachement sécurisant avec leur parent, et d’autres un lien d’attachement insécurisant. Ces différences individuelles ne sont pas déterminées génétiquement, mais plutôt enracinées dans des interactions avec l’environnement social pendant les premières années de la vie. Le parentage sensible ou insensible joue un rôle clé dans l’émergence des attachements de style sécurisant ou insécurisant, tel que documenté dans les études sur les jumeaux et dans les études expérimentales sur l’intervention. Dans le cas de la théorie de l’attachement, le présupposé de l’éducation est en effet justifié.8 De nombreuses découvertes confirment l’hypothèse centrale selon laquelle le parentage sensible entraîne un attachement sécurisant, bien que d’autres causes ne devraient pas être écartées. En outre, parallèlement à la sensibilité parentale, le chaînon manquant complexe pourrait nécessiter des mécanismes complémentaires, par exemple l’influence du contexte social au sens large.

Implications pour les politiques sociales

Les implications les plus importantes pour les politiques et la santé mentale sont que le parentage est important et fait la différence pour le développement socio-affectif du nourrisson. Les parents sont donc en droit de recevoir du soutien des décideurs politiques et des intervenants en santé mentale pour élever le mieux possible leurs enfants vulnérables. Le parentage sensible est difficile et ne vient pas naturellement chez plusieurs parents qui doivent suivre la bonne voie même s’ils ont eu peu d’expériences positives dans leur enfance. Il faut un village pour élever un enfant,19 les parents doivent donc pouvoir compter sur des soins non parentaux de qualité dans un réseau de services de garde plus vaste pour concilier l’éducation de leurs enfants avec d’autres obligations. De plus, beaucoup de parents peuvent tirer profit d’interventions préventives plutôt brèves qui les aident à devenir plus sensibles envers les signaux d’attachement de leurs nourrissons. Des études randomisées ont permis de conclure que des interventions efficaces qui parviennent à augmenter le parentage sensible et la sécurité de l’attachement du nourrisson sont maintenant disponibles. Elles utilisent un nombre modéré de séances et une approche comportementale claire et interactive, et peuvent commencer environ six mois après la naissance. Du point de vue de l’attachement appliqué, les jeunes parents devraient avoir accès à des programmes de soutien préventif qui incorporent ces perspectives fondées sur les recherches.

Références

  1. Bowlby J. Attachment and loss: Vol.1 Attachment. New York, NY: Basic Books; 1969. 
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  3. Spangler G, Grossmann KE. Biobehavioral organization in securely and insecurely attached infants. Child Development 1993;64(5):1439 1450.
  4. Main M, Solomon J. Procedures for identifying infants as disorganized/disoriented during the Ainsworth Strange Situation. In: Greenberg MT, Cicchetti D, Cummings EM, eds. Attachment in the preschool years: Theory, research, and intervention. Chicago, Ill: University of Chicago Press; 1990:121-160.
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  18. Verhage ML, Fearon RMP, Schuengel C, van IJzendoorn MH, Bakermans-Kranenburg MJ, Madigan S, Roisman GI, Oosterman M, Behrens KY, Wong MS, Mangelsdorf S, Priddis LE, Brisch KH, The Collaboration on Attachment Transmission Synthesis. Constraints on the intergenerational transmission of attachment via individual participant data meta-analysis. Child Development 2018;89:2023-2037. doi: 10.1111/cdev.13085
  19. Clinton HR. It takes a village: and other lessons children teach us. New York, NY: Simon & Schuster; 1996.

Pour citer cet article :

van Ijzendoorn MH. Attachement à l’âge précoce (0-5 ans) et impacts sur le développement des jeunes enfants. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. van IJzendoorn MH, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/attachement/selon-experts/attachement-lage-precoce-0-5-ans-et-impacts-sur-le-developpement-des. Actualisé : Septembre 2019. Consulté le 25 avril 2024.

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