[Archivé] Troubles du sommeil chez les jeunes enfants : impact sur le développement social et affectif et choix de traitements. Commentaires sur France et Blampied, Wiggs et Owens


The Michael S. Aldrich Sleep Disorders Center, University of Michigan, États-Unis

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Introduction

Au cours des cinq premières années de la vie, il se produit de profonds changements dans la durée, la distribution et les caractéristiques du sommeil. Pendant ces années, le portrait varié du développement normal effectue des distinctions entre normal et anormal, bénin et grave, cause et effet – souvent prises pour acquis dans les domaines mieux établis de la recherche sur les services de santé – et ces distinctions posent de nombreux défis. Pourtant, les données primaires suggèrent qu’une compréhension de base de ces questions pourrait un jour avoir un impact important pour la santé publique.

Parmi les troubles du sommeil pendant l’enfance, plusieurs sont très répandus, la plupart peuvent être facilement diagnostiqués et presque tous peuvent être traités. Les résultats des traitements sont susceptibles de procurer d’importants bienfaits aux enfants et à leurs familles, parfois pendant des années et jusqu’à un âge avancé.

Les dix dernières années ont constitué une période de recherche fructueuse en matière de problèmes de sommeil des jeunes enfants ainsi que leur impact sur le développement et sur le comportement et leur traitement. Karyn France, Neville Blampied, Luci Wiggs, et Judith Owens ont apporté des contributions originales et importantes dans ces domaines.1-3 Dans leurs textes, ces auteurs soulignent la recherche récente sur la nature et sur le traitement des problèmes de sommeil chez les nourrissons et les jeunes enfants.

Recherches et conclusions

Dans leur recension, France et Blampied fournissent une vue d’ensemble concise et perspicace des caractéristiques fondamentales qui définissent un « bon dormeur ». Ces auteurs décrivent ensuite comment les changements reliés à l’âge en matière de sommeil et les interrelations complexes entre l’enfant, la famille, l’environnement et la culture, peuvent influencer l’atteinte de cet objectif.

La division entre les perturbations psychosociales du sommeil et celles qui sont davantage d’ordre biologique, neurologique ou qui ont trait à la maturation est utile en matière conceptuelle et dans la discussion actuelle, mais ne devrait pas occulter le fait qu’il existe des douzaines de diagnostics spécifiques des troubles du sommeil chez les jeunes enfants ou que des zones importantes de chevauchement entre les deux grandes catégories peuvent exister.

Dans leur discussion au sujet des preuves disponibles, France et Blampied soulignent avec justesse l’efficacité des interventions comportementales par opposition à l’absence virtuelle des indications prouvées pour la médication. De même, l’insistance sur la préparation parentale pour les interventions sur le sommeil est certainement justifiée.

Wiggs procure de l’information supplémentaire sur le contexte et qui est essentielle pour comprendre l’importance des problèmes de sommeil pendant l’enfance : ces conditions affectent entre 25 et 50 % des jeunes enfants, et les impacts négatifs s’étendent souvent aussi aux autres membres de la famille. Contrairement à France et à Blampied, Wiggs insiste davantage sur le fait que l’on n’a pas encore entrepris d’études longitudinales avec des mesures objectives indépendantes afin de déterminer « la relation causale entre les troubles du sommeil et le développement pathologique de l’enfant ». Elle remarque avec justesse qu’il reste beaucoup de choses à découvrir sur les mécanismes physiologiques sous-jacents qui peuvent relier les troubles du sommeil à leur impact sur le développement comportemental et socio-affectif.

Des études à long terme sur l’efficacité des interventions doivent être entreprises, ainsi que des recherches sur les limites des traitements actuels. Sans ces études, les cliniciens prescrivent souvent des médicaments malgré les préoccupations au sujet de la tolérance au médicament, les effets secondaires et l’insomnie de rebond : les parents peuvent rejeter des traitements comportementaux sécuritaires et efficaces comme l’extinction (le processus qui consiste à éliminer ou à réduire une réponse conditionnée en ne la renforçant pas) parce qu’ils pensent que leur enfant en souffrira.

Owens commente aussi la prévalence élevée de problèmes de sommeil chez les jeunes enfants et les preuves selon lesquelles ces problèmes peuvent persister et devenir chroniques des années plus tard. Elle souligne d’ailleurs le fait qu’on sait que « la fatigue » infantile – l’état qui résulte d’un sommeil insuffisant ou inadéquat – est associée à des changements négatifs d’humeur, à des comportements et à des fonctions cognitives modifiés par le cortex préfrontal. Owens suggère que les perturbations du sommeil ou la fatigue peuvent entraîner de tels résultats. La plupart des spécialistes du sommeil seraient du même avis, mais à cette étape, on devrait probablement insister sur le mot « peuvent ». Des études aléatoires en double aveugle avec contrôle par placebo n’ont pas encore prouvé la relation de cause à effet ni l’efficacité de l’intervention. Owens continue en formulant plusieurs observations uniques, mais importantes. Les enfants les plus vulnérables quant aux problèmes de sommeil sont parfois les derniers chez qui ces troubles seront détectés et à être pris en charge.

Le sommeil « problématique » n’a pas encore été adéquatement défini chez les jeunes enfants, en partie parce que les écarts entre « normal » et « pathologique » semblent très grands et dépendants des contextes socioéconomique, familial et culturel. Owens fait un résumé important et raisonnable de la recherche actuelle lorsqu’elle écrit que l’extinction et l’éducation parentale sont des approches efficaces établies pour les problèmes de sommeil. Tels que déterminés par les critères de Chambless (critères d’évaluation empirique des traitements psychologiques), l’extinction progressive et les réveils planifiés sont probablement efficaces et les routines positives constituent une intervention prometteuse.

Implications

Ensemble, les quatre auteurs, France et Blampied, Wiggs, et Owens, formulent un argument convaincant en faveur des politiques et des services qui traitent réellement d’une catégorie de conditions de santé (les troubles du sommeil pendant la petite enfance) très répandues, que l’on peut diagnostiquer et traiter. Les recommandations particulières de chaque auteur sont justifiées.

De la naissance à l’âge de cinq ans, les enfants passent presque la moitié de leur temps à satisfaire les besoins en sommeil de leur cerveau en développement : il n’est donc pas surprenant que lorsque le sommeil est perturbé, il peut en être de même pour le développement du comportement, de la cognition, de l’interaction sociale et de la régulation affective.

Les preuves disponibles soutiennent fortement l’efficacité des interventions basées sur le comportement pour les causes les plus communes de fatigue infantile. Les auteurs ont raison d’insister sur le fait que les efforts généralisés visant à prévenir l’apparition de tels problèmes chez environ un tiers des enfants doivent être étudiés et peuvent se révéler bénéfiques.

Tout comme le traitement, la prévention nécessitera une meilleure formation des cliniciens et des parents sur l’importance du sommeil, des bonnes habitudes de sommeil et sur les interactions parents-enfants susceptibles de favoriser un bon sommeil. La plupart des parents parlent du sommeil avec leur pédiatre ou leur médecin de famille, mais seulement dans le contexte de maladies aiguës. Les symptômes des troubles chroniques du sommeil sont rarement mentionnés, les diagnostics principaux concernant le sommeil sont rarement posés et les traitements efficaces rarement établis.4 L’éducation médicale sur le sommeil est presque inexistante dans le cursus universitaire médical et dans les programmes de résidences.5-7

Pendant ce temps, aux États-Unis, un sondage réalisé en 2003 par la National Sleep Foundation auprès d’environ 1 500 parents a permis de découvrir que deux tiers d’entre eux identifiaient des problèmes de sommeil chez leur enfant. Un autre sondage appelé le Sleep in America Poll, effectué par le même organisme en 2004, à Washington DC,  a révélé que trois quarts des parents changeraient quelque chose dans le sommeil de leur enfant s’ils le pouvaient. Quand les problèmes de sommeil sont présentés aux pédiatres ou aux médecins de famille, plusieurs décident de prescrire des médicaments ayant fait l’objet de peu de publications en faveur de leur utilisation sur des enfants ou ils prescrivent des médicaments en dérogationaux directives.3

Les articles de France et Blampied, Wiggs, et Owens restreignent grandement leurs descriptions des « services et programmes » mentionnés dans le titre à l’interaction individuelle entre un clinicien et un enfant. Malheureusement, les efforts de programmation à grande échelle visant à traiter les problèmes de sommeil chez les enfants ont été rares. Les exceptions incluent la campagne Back to Sleep Campaign qui a considérablement réduit l’incidence du syndrome de la mort subite du nourrisson et la recommandation effectuée en 2002 par l’Académie américaine des pédiatres selon laquelle on demandait à toutes les familles si leur enfant ronflait. L’efficacité des interventions comportementales pour les problèmes « psychosociaux » courants du sommeil plaide en faveur de la recherche au sein de programmes scolaires, préscolaires et communautaires d’envergure afin d’offrir une formation aux parents sur la prévention et le traitement.

On a besoin de considérablement plus de recherches pour déterminer si le « développement socio-affectif » des jeunes enfants est influencé par les problèmes de sommeil; dans ce cas, quels aspects sont influencés, à quelle fréquence, par quels mécanismes et à cause de quels diagnostics reliés au sommeil. L’épidémiologie et l’impact potentiel exposés dans ces articles suggèrent que ce genre de recherche devrait faire partie des priorités.

Les politiques publiques devraient soutenir la recherche sur le sommeil humain normal et sur les troubles du sommeil. La médecine du sommeil est un nouveau domaine et la médecine pédiatrique du sommeil est encore plus récente. Les questions de base auxquelles il n’y a pas encore de réponse sont la quantité de sommeil dont les jeunes ont besoin et comment déterminer au mieux cette quantité pour un enfant en particulier.

On suppose que le manque de sommeil a des impacts majeurs sur les adultes, mais ses impacts sur les jeunes enfants n’a pas fait l’objet d’autant de recherches, bien que les préoccupations sur le développement à long terme soient susceptibles d’aggraver celles qui sont  reliées au fonctionnement immédiat ou à celui du lendemain.

Le sondage de la National Sleep Foundation a suscité beaucoup d’attention quand il a révélé que les nourrissons, les jeunes enfants et les enfants d’âge préscolaire dormaient en moyenne une à deux heures de moins que le nombre d’heures généralement considérées comme nécessaires.

Bien que les troubles médicaux du sommeil soient moins courants que les troubles comportementaux du sommeil, s’ils ne sont pas traités, leur impact peut donner lieu à  des conséquences envahissantes et irréversibles à l’âge adulte.

La recherche sur les troubles pédiatriques du sommeil pourrait affecter des domaines étendus essentiels au bien-être sociétal, allant de la fréquence des amygdalectomies8 chez les enfants à la réussite scolaire9 et à l’agressivité pendant l’enfance.10 À la Michigan University, l’identification des interactions complexes entre le sommeil et le comportement a conduit de nombreux enfants à être orientés vers une clinique pédiatrique multidisciplinaire du sommeil et du comportement. Le même matin, les enfants et leurs familles rencontrent un spécialiste médical du sommeil (neurologie ou médecine pulmonaire) et un spécialiste comportemental du sommeil (psychologie infantile ou pédiatrie comportementale). Des études de cas après chaque matinée donnent l’occasion à des spécialistes de différentes disciplines d’évaluer et de synthétiser l’information obtenue. Les résultats comprennent souvent des approches à facettes multiples qui, idéalement, s’occupent des pathologies compliquées et entrecroisées développées par la plupart des enfants.

Les systèmes de santé ne remboursent pas souvent de tels efforts cliniques qui prennent temps et argent. Étant donné les divers bienfaits possibles des traitements efficaces des troubles du sommeil chez les jeunes enfants, les systèmes de santé devraient concevoir des façons novatrices de soutenir les approches interdisciplinaires nécessaires les plus susceptibles de se révéler rentables pour la société à long terme.

Références

  1. France KG, Blampied NM. Infant sleep disturbance: Description of a problem behaviour process. Sleep Medicine Reviews 1999;3(4):265-280.
  2. Wiggs L, Stores G. Behavioural treatment for sleep problems in children with severe learning disabilities and challenging daytime behaviour: Effect on daytime behaviour. Journal of Child Psychology and Psychiatry and Allied Disciplines 1999;40(4):622-635.
  3. Owens JA, Rosen CL, Mindell JA. Medication use in the treatment of pediatric insomnia: Results of a survey of community-based pediatricians. Pediatrics 2003;111(5):e628-e635.
  4. Chervin RD, Archbold KH, Panahi P, Pituch KJ. Sleep problems seldom addressed at two general pediatric clinics. Pediatrics 2001;107(6):1375-1380.
  5. Rosen RC, Rosekind M, Rosevear C, Cole WE, Dement WC. Physician education in sleep and sleep disorders: A national survey of United-States medical schools. Sleep 1993;16(3):249-254.
  6. Mindell JA, Moline ML, Zendell SM, Brown LW, Fry JM. Pediatricians and sleep disorders: training and practice. Pediatrics 1994;94(2 Pt 1):194-200.
  7. Rosen R, Mahowald M, Chesson A, Doghramji K, Goldberg R, Moline M, Millman R, Zammit G, Mark B, Dement W. The Taskforce 2000 survey on medical education in sleep and sleep disorders. Sleep 1998;21(3):235-238.
  8. Weatherly RA, Mai EF, Ruzicka DL, Chervin RD. Identification and evaluation of obstructive sleep apnea prior to adenotonsillectomy in children: a survey of practice patterns. Sleep Medicine 2003;4(4):297-307.
  9. Gozal D. Sleep-disordered breathing and school performance in children. Pediatrics 1998;102(3):616-620.
  10. Chervin RD, Dillon JE, Archbold KH, Ruzicka DL. Conduct problems and symptoms of sleep disorders in children. Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry 2003;42(2):201-208.

Pour citer cet article :

Hoban TF, Chervin RD. [Archivé] Troubles du sommeil chez les jeunes enfants : impact sur le développement social et affectif et choix de traitements. Commentaires sur France et Blampied, Wiggs et Owens. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Petit D, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/sommeil/selon-experts/troubles-du-sommeil-chez-les-jeunes-enfants-impact-sur-le-developpement-social. Publié : Novembre 2004. Consulté le 28 mars 2024.

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