Impact des pleurs sur le développement psychosocial de l'enfant : commentaires sur Stifter et Zeskind


Vassar College, États-Unis

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Introduction

Les pleurs sont le principal moyen de communication dont disposent les jeunes nourrissons à une étape du développement où ils dépendent presque entièrement des autres pour satisfaire leurs besoins. Comme les pleurs suscitent généralement des soins, les séquences de pleurs et d’apaisement constituent un contexte hautement motivationnel dans lequel le nourrisson associe le principal donneur de soins à une transition gratifiante entre la détresse affective et le calme. C’est peut-être pour cette raison que les nourrissons s’attachent généralement à l’individu qui a apporté la réponse la plus fiable à leurs pleurs. Les pleurs sont à leur tour considérés comme essentiels à la formation d’un lien envers un donneur de soin particulier.1 La qualité et la quantité des pleurs du jeune nourrisson sont cependant très variables, tout comme le sont la nature des réactions parentales. Les nourrissons normaux pleurent entre un et trois quart d’heure par jour au cours des six premières semaines de leur vie,2 les réactions parentales vont d’une grande indulgence à la négligence et même jusqu’à la violence.3 Les auteurs des articles dont il est question dans ce commentaire abordent certains facteurs qui contribuent à la variabilité des pleurs du nourrisson et des modèles de réaction parentale.

Recherche et conclusions

L’article de Stifter focalise sur les différences entre la colique et le tempérament difficile et délimite leurs trajectoires développementales. On définit la colique comme des pleurs excessifs et persistants pendant les trois premiers mois de la vie chez des enfants par ailleurs en santé. C’est une condition passagère qui s’estompe généralement après le quatrième mois et on a prouvé qu’elle avait peu ou pas de conséquence à long terme. En revanche, le tempérament difficile, défini comme une agitation fréquente et une difficulté à s’apaiser, perdure après quatre mois, continue pendant l’enfance et est corrélé à plusieurs résultats négatifs à long terme. La qualité des pleurs est une autre distinction entre la colique et le tempérament difficile. Dans le cas de coliques, les pleurs sont plus intenses et durent plus longtemps; en ce qui a trait au tempérament difficile, les pleurs et l’agitation sont plus fréquents que la normale, mais pas nécessairement plus intenses.

La colique et le tempérament difficile peuvent avoir des répercussions négatives directes et indirectes sur le nourrisson, à cause des réactions parentales négatives envers les pleurs excessifs et de la tension des relations entre parent et enfant qui en résultent. Bien que de nombreuses données indiquent que la colique est psychologiquement stressante pour les parents à court terme, la relation parent-enfant semble se rétablir peu après sa disparition. En revanche, les enfants étiquetés comme ayant un tempérament difficile manifestent de nombreux déficits pendant l’enfance et l’adolescence, y compris surtout des problèmes scolaires, d’attention, et de comportement. Le fait que les interventions précoces ciblant la sensibilité et la capacité de réaction des parents amortissent certaines de ces conséquences négatives suggère que les effets à long terme d’un tempérament difficile peuvent être modifiés par la tension qu’il impose aux relations parent-enfant.

L’article de Zeskind traite des caractéristiques acoustiques des pleurs et des caractéristiques des adultes qui influencent la prégnance des pleurs, ainsi que de leur efficacité lorsqu’il s’agit d’obtenir de l’aide. Il existe notamment un lien entre les pleurs hyperphoniques ou aigus, caractéristiques des nourrissons souffrant de maladies et de troubles congénitaux, et la perception selon laquelle les pleurs sont urgents et nécessitent une attention immédiate. En comparaison avec les pleurs de nourrissons normaux, les pleurs aigus des enfants à risque sont perçus comme étant plus signe de maladie et plus aversifs. Chez les enfants normaux, les pleurs aigus sont réservés aux blessures les plus pénibles, comme l’aspect envahissant de la circoncision.Les parents réagissent de façon alerte et automatique aux pleurs aigus et interviennent rapidement avec pertinence, c’est ce que Zeskind appelle judicieusement « processus dyadique d'ajustement d'activation/désactivation entre l'adulte et l'enfant ». Quand les pleurs sont constamment aigus à cause d’un trouble sous-jacent plutôt qu’une blessure, ils sont susceptibles d’irriter les personnes qui prennent soin de l’enfant. Une des conséquences est que les nourrissons qui sont déjà à risque de développement sous-optimal peuvent être encore plus à risque de réactions parentales hostiles envers leurs pleurs, ce qui pourrait exacerber leur état compromis.Les caractéristiques des auditeurs influencent aussi les perceptions des pleurs et les réactions vis-à-vis de ces derniers. Comparés à des parents non violents, ceux qui violentent leurs propres enfants manifestent une alerte et une aversion plus élevées lors d’analyses de laboratoire sur les réactions physiologiques et affectives face à des pleurs aigus. Cependant, les adolescents déprimés et les mères ayant une dépendance à la cocaïne perçoivent les pleurs aigus comme moins alarmants et moins dignes d’une réponse urgente que les mères normales, ce qui indique probablement une incapacité à distinguer les pleurs de différentes intensités et à comprendre leur signification comparative. L’auteur soutient que la réaction au comportement du nourrisson, y compris la sensibilité aux pleurs, peut sous-tendre les différences de résultats chez les nourrissons, surtout chez ceux qui sont à risque.

L’article de Zeskind met en lumière l’interaction dynamique des pleurs et les caractéristiques de la personne qui les entend, ce qui se traduit par des modèles de réponse. La limite de cette approche est le centrage sur une caractéristique acoustique, la fréquence fondamentale (c’est-à-dire le ton de base), et l’exclusion relative d’autres variables acoustiques et contextuelles. La focalisation de Zeskind est très compréhensible, étant donné que le ton est une caractéristique altérée des pleurs des bébés déficients qui sont à risque de problèmes développementaux. Cependant, cette focalisation peut masquer d’autres caractéristiques comme la durée des pleurs, ou des variables contextuelles comme le temps écoulé depuis le dernier boire, qui contribuent à la nature et au rythme de la réponse.6-7 D’autres personnes et moi-même avons soutenu que, bien que ces grandes variations de ton indiquent un état neurologique compromis,3 dans des circonstances plus habituelles, on utilise généralement d’autres caractéristiques des pleurs et leur contexte pour évaluer la détresse du nourrisson chez ceux qui sont normaux et en santé.8

Implications pour les politiques et les services

L’article de Stifter aidera les cliniciens à distinguer un enfant colitique d’un enfant à tempérament difficile. Leur sensibilité aux différences de ces deux états et leurs risques relatifs a des implications pratiques pour le soutien optimal et pour orienter les décisions sur le suivi. Dans le cas de la colique par exemple, on peut soulager les parents préoccupés en expliquant sa nature passagère. Les parents des enfants ayant un tempérament difficile pourraient recevoir du soutien pour les aider à faire face à cet état plus durable, ce qui pourrait prévenir ou amoindrir certains effets à long terme causés par la tension des relations entre parents et enfants.

Les cliniciens pourraient utiliser les résultats de Zeskind pour identifier les problèmes de santé du nourrisson et pour former les donneurs de soins à être plus sensibles à ses signaux de détresse. Il est certain que les nourrissons dont les pleurs sont aigus ou inhabituels devraient subir une évaluation médicale. Les cliniciens devraient discuter de l’aspect pénible des pleurs inhabituellement aigus avec les parents et leur offrir le soutien approprié. De plus, les caractéristiques parentales associées à une moindre sensibilité à la détresse du nourrisson, par exemple, la dépression ou une histoire de violence, devrait être un facteur d’évaluation du risque et des besoins de soutien supplémentaire dans tous les contextes de soins et de garde. 

Les deux articles focalisent sur les conditions pathologiques du développement, plutôt que sur les conditions normales. Il est utile de préciser que, dans le cours normal des événements, les pleurs servent à créer une proximité étroite entre l’enfant et le parent dans une situation affectivement chargée et gratifiante. Dans la plupart des cas, un enfant qui pleure s’apaise et la douleur, la faim ou l’inconfort qui ont précipité les pleurs sont soulagés. L’inconfort que ressent le donneur de soins en réaction aux sons irritants des pleurs est aussi calmé, et cette personne est récompensée par un enfant calme, souvent alerte et heureux. Ainsi, dans la trajectoire du développement psychosocial, les pleurs constituent un contexte idéal pour que le parent et l’enfant apprennent mutuellement l’un sur l’autre et créent un lien affectif.

Références

  1. Bowlby J. Attachment. New York, NY: Basic Books; 1980. Attachment and loss; vol. 1.
  2. Brazelton TB. Crying in infancy. Pediatrics 1962;29(4):579-588.
  3. Soltis J. The signal functions of early infant crying. Behavioral and Brain Sciences. Sous presse.
  4. Porter FL, Miller RH, Marshall RE. Neonatal pain cries: Effect of circumcision on acoustic features and perceived urgency. Child Development 1986;57(3):790-802.
  5. Frodi A, Senchak M. Verbal and behavioral responsiveness to the cries of atypical infants. Child Development 1990;61(1):76-84.
  6. Gustafson GE, Green JA. On the importance of fundamental frequency and other acoustic features in cry perception and infant development. Child Development 1989;60(4):772-780.
  7. Wood RM, Gustafson GE. Infant crying and adults’ anticipated caregiving responses: Acoustic and contextual influences. Child Development 2001;72(5):1287-1300.
  8. Zeifman DM. Acoustic features of infant crying related to intended caregiving intervention. Infant and Child Development 2004;13(2):111-122.

Pour citer cet article :

Zeifman DM. Impact des pleurs sur le développement psychosocial de l'enfant : commentaires sur Stifter et Zeskind. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/pleurs/selon-experts/impact-des-pleurs-sur-le-developpement-psychosocial-de-lenfant-commentaires-sur. Publié : Juin 2005. Consulté le 24 avril 2024.

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