Les interventions auprès des pères


1Temple University, États-Unis, 2St. Cloud State University, États-Unis

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Introduction

L’implication des pères dans les programmes pour la petite enfance s’est accrue au fil des dernières décennies, soutenue par un intérêt récent envers leur influence positive sur leurs enfants.1,2 Grâce aux initiatives comme Early Head Start (NDLT : programme d’éducation préscolaire aux États-Unis), et considérant le fait que la majorité des enfants américains âgés de 0 à 5 ans sont inscrits à au moins un programme pour la petite enfance, ces programmes sont devenus un créneau idéal pour favoriser l’implication des pères et soutenir un engagement paternel positif.3 Cet article passera en revue les différents types de programmes pour la petite enfance impliquant les pères et résumera les effets connus de ces programmes sur les pères et les enfants. 

Problèmes

Les programmes desservant les pères de jeunes enfants se sont multipliés en réponse à deux besoins : (1) les mères sont plus susceptibles de travailler à l’extérieur du foyer, ce qui exige des pères une implication accrue dans les soins et l’éducation des enfants, et (2) un nombre croissant de pères biologiques ne résident pas avec leurs enfants, de sorte qu’il leur est difficile d’être activement engagés dans leur vie. Un engagement paternel positif peut constituer un facteur de protection pour les enfants et favoriser leur bien-être de plusieurs façons.4,5 La petite enfance est une période critique dans le développement des compétences paternelles, notamment la capacité de former un attachement sécurisé avec l’enfant,6 de favoriser son développement social et affectif et d’influencer sa préparation à l’école et son succès scolaire.3

Contexte de la recherche

Différents programmes pour les pères de jeunes enfants ont été développés pour desservir des populations diverses ayant des besoins variés,7 de sorte que les objectifs de ces programmes dans l’ensemble sont nombreux et les moyens qu’ils préconisent pour renforcer les compétences paternelles sont variables. Bien que les programmes aient proliféré dans le but de répondre aux besoins des pères et des familles, il reste nécessaire d’évaluer leur efficacité à aider réellement les pères à devenir de meilleurs parents et de meilleurs conjoints.8 Les décideurs politiques fédéraux et des états américains exigent de plus en plus que les effets des programmes sur les pères et les familles soient évalués, tout comme leur rentabilité, pour justifier qu’on y investisse des fonds publics.9

Questions clés de la recherche

Une question de recherche clé concerne les types de programme qui se révèlent les plus efficaces pour aider les pères et leur famille. Par exemple, des chercheurs ont soulevé la question à savoir si les interventions de « coparentalité » (c.-à-d. ciblant les aspects de la relation père-mère qui concernent l’éducation des enfants)10 sont plus efficaces que les programmes d’éducation aux compétences parentales pour aider les pères non-mariés économiquement défavorisés à maintenir un lien avec leurs jeunes enfants.11 Une autre question de recherche pratique est la suivante : quel format de programme est le plus efficace pour attirer les pères? L’approche choisie par Berwick & Belloti12 pour répondre à cette question a été d’analyser le niveau de participation des pères à différentes activités des programmes Head Start. Une troisième question de recherche clé concerne le moment de l’intervention. Par exemple, les services comme les cours d’éducation parentale qui sont offerts pendant la période périnatale sont-ils plus efficaces que des cours similaires offerts plus tard au cours de la petite enfance pour aider les pères non-résidents à rester impliqués et à développer des liens étroits avec leurs enfants? Une dernière question clé concerne la dose optimale d’intervention (durée et intensité) pour atteindre les objectifs des programmes pour les pères. Cette question ouvre aussi la porte à celle des coûts et bénéfices des programmes. Les programmes ciblant les pères non-mariés économiquement défavorisés peuvent être très dispendieux lorsque la gestion de cas en est une composante nécessaire, mais leurs bénéfices peuvent aussi être plus grands que ceux d’un programme d’éducation parentale à court terme. 

Résultats de recherche récents

Les résultats de recherche peuvent être divisés selon deux types d’intervention pour les pères : les programmes de prévention primaire et ceux de prévention secondaire. Les programmes de prévention primaire aident les pères à développer leurs compétences parentales et à bâtir des relations étroites avec leur enfant avant que la relation père-enfant ne pose problème. Les programmes de prévention secondaire ciblent les pères et les familles dont les enfants sont à risque en raison de problématiques familiales, de perturbations développementales ou d’indications de problèmes comportementaux/affectifs significatifs. 

Les interventions de prévention primaire auprès de pères de jeunes enfants dont la partenaire reçoit des services de visites à domicile (c.-à-d., les programmes de développement des compétences parentales qui soutiennent les pères dans leur propre foyer) sont devenues de plus en plus populaires aux États-Unis.13 À ce jour, seules des études descriptives de ces programmes ont été menées. Par exemple, dans leur étude menée auprès de 64 familles, Ferguson et Vanderpool14 ont montré que le nombre total moyen de facteurs de risque chez les pères était plus faible à la fin du programme de visites à domicile qu’au début de celui-ci. Toutefois, en l’absence de groupe contrôle ou de condition témoin, il n’est pas possible d’affirmer que le programme étudié est définitivement associé à un risque plus faible pour les pères. Il existe aussi des programmes dont l’accès est universel, liés aux programmes de la petite enfance, qui visent la prévention de la maltraitance des enfants et qui promeuvent également un développement social et affectif positif, une littératie précoce et une bonne préparation à l’école.6,15 

Les programmes de prévention primaire pour les pères sont maintenant communs dans les centres Head Start partout aux États-Unis, mais peu ont été soumis à des études d’évaluation de leurs résultats. Les programmes nationaux Head Start et Early Head Start sont destinés aux enfants de 0 à 5 ans économiquement défavorisés ainsi qu’à leur famille. Fagan et Iglesias16 ont exploré les effets de la participation de pères dont les enfants étaient inscrits à Head Start à un programme incluant trois composantes : bénévolat dans la classe, présence lors d’activités de divertissement organisées et groupe de soutien mensuel. Les interactions directes avec les enfants et la manière de soutenir leurs activités d’apprentissage à la maison se sont améliorées davantage chez les pères ayant reçu l’intervention que chez ceux du groupe témoin, mais seulement si les pères étaient au moins modérément engagés dans le programme. Dans une autre étude, les interactions sociales de pères dont l’enfant de 24 mois était inscrit à Early Head Start étaient significativement plus complexes, lors de jeux avec leur enfant, que celles de pères dont les enfants faisaient partie d’un groupe contrôle.17 Ces études suggèrent de possibles bénéfices pour les pères qui s’impliquent dans le programme Head Start, mais plus d’études seront nécessaires pour répliquer ces résultats et démontrer comment les pères et leurs enfants sont affectés par cette implication. 

Un petit nombre de programmes de prévention secondaire pour les pères de jeunes enfants ont été menés et évalués.18 Par exemple, la Parent-Child Interaction Therapy (PCIT), une intervention d’éducation à court terme, basée sur des données probantes, pour les parents d’enfants d’âge préscolaire manifestant des problèmes de comportement, a été évaluée aux Pays-Bas avec un devis quasi-expérimental.19 Les résultats ont témoigné d’améliorations importantes des problèmes de comportement des enfants tels que rapportés par les pères à la fin de l’intervention. Plus de recherches seront nécessaires pour tirer des conclusions sur l’efficacité de ces programmes. 

Magill-Evans, Harrison, Rempel et Slater20 ont passé en revue 12 études d’intervention menées entre 1983 et 2003 auprès de pères de jeunes enfants (0-5 ans). La variété de programmes inclus allait d’interventions de santé (méthode kangourou, massage pour bébés) à des groupes de discussion et d’éducation pour parents. Les devis devaient inclure une mesure prétest en plus de la mesure posttest ou comporter un groupe témoin. Les programmes identifiés comme étant prometteurs pour une éventuelle implantation sont la méthode kangourou, le massage pour bébé, l’observation guidée du comportement de l’enfant avec modelage et les périodes d’interactions parent-enfant combinées à des groupes de discussion/soutien entre parents. La revue concluait également que le dosage est important et que des expositions multiples sont plus susceptibles d’être efficaces. 

Lacunes de la recherche

Il semble y avoir un consensus voulant que la réalisation de recherches plus rigoureuses sur différents types d’intervention nous permette de mieux cerner les programmes qui sont les plus efficaces pour les pères de jeunes enfants. Certaines questions supplémentaires émergent aussi quant à l’utilisation de la théorie pour guider les devis d’intervention. Plusieurs modèles théoriques pourraient guider la recherche : l’apport des pères en capital social, la théorie de l’attachement, l’entraînement aux compétences parentales, la gestion du comportement, la théorie des systèmes familiaux et les dynamiques de coparentalité, et possiblement les neurosciences et le rôle des hormones. Comment ces modèles peuvent-ils répondre à des populations variées et des objectifs spécifiques pour les pères et les enfants? Comment pouvons-nous comparer l’efficacité et la valeur de programmes ayant différents objectifs et différentes mesures de résultats?

Les antécédents de l’intervenant (formation et expérience) constituent également un aspect important à étudier.7,12 La plupart des programmes basés sur des données probantes ont été menés à l’origine par des intervenants accrédités et expérimentés. Ceci soulève des préoccupations sur la manière de développer ces programmes à grande échelle avec des intervenants ne détenant pas le même niveau de préparation et d’expérience.

Conclusion

  • La petite enfance (0-5 ans) est une période critique dans la formation de la famille.21

  • Pour favoriser un engagement paternel positif, les programmes offerts pendant la petite enfance devraient principalement combiner des objectifs liés à la relation de coparentalité et aux compétences parentales des pères.10

  • Pour certains groupes cibles (les pères adolescents et les jeunes pères non-mariés), les programmes devraient comporter des objectifs supplémentaires liés au rôle de pourvoyeur, à la formation professionnelle et à la scolarisation des pères. 

  • Alors que les enfants sont très vulnérables pendant la grossesse et la transition vers la parentalité, l’éducation et le soutien pour les pères sont limités pendant cette période. Il s’agit donc d’une fenêtre temporelle idéale pour que les fournisseurs de soins de santé, les éducateurs familiaux et de la petite enfance, les fournisseurs de services de santé mentale pour nourrissons et les fournisseurs de services sociaux fassent la promotion de leurs services auprès des pères. 

  • Le contenu et le format des programmes pour les pères varient selon la population ciblée et les objectifs spécifiques. Il y a plusieurs moyens différents de soutenir une implication paternelle positive et de saines relations père-mère et père-enfant. 

Implications pour la pratique

Deux récentes revues de littérature touchant à la fois la pratique et la recherche dans le champ des interventions pour les pères mentionnent plusieurs stratégies spécifiques pour alimenter la pratique.7,21 Ces deux revues ne s’attardent pas uniquement aux programmes pour les pères de jeunes enfants (0-5 ans), mais elles recèlent de stratégies concrètes pour bonifier ces programmes. 

  • Il est essentiel que la théorie, la logique et les objectifs du programme soient clairs avant que l’évaluation n’ait lieu. Des praticiens et des chercheurs devraient collaborer pour élaborer les objectifs du programme et déterminer les moyens d’en évaluer les résultats. 
  • Les activités parent-enfant constituent des occasions idéales d’attirer et d’impliquer les pères dans les milieux pour la petite enfance.11
  • Les programmes devraient être adaptés pour satisfaire aux besoins spécifiques des pères et la programmation basée sur des données probantes devrait être ajustée pour convenir à différentes populations. 
  • La durée et l’intensité du programme devraient être suffisantes pour produire un effet sans limiter l’accessibilité en raison d’une demande excessive de temps et/ou d’engagement de la part du père. 
  • La convivialité de l’environnement pour une clientèle masculine, qui implique notamment l’embauche d’employés masculins, est essentielle au succès des programmes. 
  • La mise en œuvre de stratégies de recrutement efficaces est un premier pas dans la création de programmes fructueux. 
  • Il est important de considérer les antécédents et les caractéristiques du personnel. Tous les employés ont besoin de soutien, de possibilités de consultation et de formation professionnelle continue.
Références
 
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Pour citer cet article :

Fagan J, Palm G. Les interventions auprès des pères. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Roopnarine JL, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/pere-paternite/selon-experts/les-interventions-aupres-des-peres. Publié : Octobre 2015. Consulté le 25 avril 2024.

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