Le rôle de père dans divers contextes culturels : un portrait émergent. Commentaires généraux sur le rôle de père


Syracuse University, États-Unis

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Introduction

Les perspectives culturelles, interculturelles et autochtones gagnent de plus en plus de terrain sur les processus de socialisation familiale. Dans le domaine des sciences psychologiques, l’intérêt pour la recherche consacrée aux relations père-enfant entre les différentes communautés culturelles est grandissant.1,2 Ces articles décrivent les différentes modalités selon lesquelles les hommes participent à la vie de leurs enfants et les répercussions des différents niveaux d’implication paternelle pour le développement des enfants, entre un faible nombre de communautés culturelles. Les auteurs débattent sur des aspects locaux et particuliers du rôle du père et sur le caractère évolutif de la façon dont les hommes répondent à leurs multiples rôles dans la famille. Ces rôles et responsabilités co-interviennent avec d’autres événements de la vie (par exemple, les difficultés économiques, la discrimination, l’oppression et la transplantation culturelle), et sont souvent dirigés par des scénarios internes ou des ethnothéories portant sur la masculinité ou la virilité qui sont contestés et évoluent. À cette fin, il existe des voies culturelles menant au paternage où les hommes accordent de l’importance à différents objectifs et à différentes pratiques de socialisation entre les diverses communautés pour atteindre des buts communs : la santé et le bien-être des enfants et de la famille.

Divers systèmes matrimoniaux et d’union 

Bien que les fondements de la recherche consacrée au rôle du père portent essentiellement sur la dyadique et sur les familles européennes et d’héritage européen, en ce qui concerne le modèle de partage du rôle parental, il est évident qu’entre les différentes communautés culturelles, la paternité et le paternage se manifestent dans diverses configurations familiales, selon divers modèles résidentiels et différents niveaux d’attachement aux relations avec les pairs.3,4,5 En d’autres termes, les hommes deviennent pères dans des systèmes matrimoniaux et d’union différents, avec une séparation conceptuelle possible entre le rôle de parent et celui de partenaire, dans certaines communautés culturelles.6 De plus, les pères et les mères joignent leurs forces avec une multitude d’autres individus (frères et sœurs, grands-parents, oncles et tantes, et autres adultes de genre masculin), dans plusieurs communautés culturelles dans le but de répondre aux différents besoins des enfants. Par exemple, Chaudhary et coll., Ball et Moselle, et Makusha et Richter soulignent les rôles des multiples donneurs de soins, dans le contexte de relations horizontales et verticales, dans des systèmes de modalités de logement élargies qui sont sanctionnés sur le plan culturel et véhiculent l’importance des agents de socialisation non parentaux dans la vie des jeunes enfants. Loin d’être similaires, certains de ces protagonistes non parentaux agissent en complémentarité avec le père dans des modalités de logement élargies, en tant que donneurs de soins alternatifs dans des situations où le père est non-résident et en tant que donneurs de soins de substitution lorsque le père doit migrer vers d’autres régions géographiques pour des raisons professionnelles visant à répondre aux besoins économiques des membres de la famille. Actuellement, la contribution du père au développement de l’enfant en fonction de ces autres protagonistes, au sein de ces systèmes de soins dynamiques, n’est pas clairement définie, et nous continuons à examiner l’importance de l’implication du père par rapport aux modèles de maternage, dans la majorité des cas.7 

Variations associées à l’investissement et à l’implication du père

La simple présence paternelle n’équivaut pas à la présence psychologique, et la paternité non-résidentielle n’exclut pas que les hommes puissent s’impliquer dans la vie de leurs enfants. Un père peut être physiquement présent dans l’environnement de l’enfant, sans être disponible sur le plan affectif. Par ailleurs, certains pères non-résidents peuvent trouver des façons uniques de procurer des ressources matérielles et rester en contact avec leurs enfants. Bien sûr, l’implication du père varie selon le contexte et en termes de modèles de comportements qui ont évolué en réponse aux demandes de l’écologie locale.3 Tous les auteurs s’accordent sur le fait que les pères apportent leur protection, fournissent des ressources matérielles et s’engagent dans des soins directs et indirects des enfants. En outre, les niveaux d’implication des pères sont invariablement influencés par le statut économique, les modèles de résidence, les modèles hégémoniques de masculinité, le rôle de leur propre père lorsqu’ils étaient eux-mêmes enfants et la nature des relations avec les pairs. Pourtant, à l’échelle mondiale, dans la majorité des cultures, les hommes continuent à jouer un rôle prépondérant de soutien financier, ce qui sous-tend un bon compromis par rapport à leurs responsabilités familiales et dicte la quantité et la qualité de leur implication dans la vie des enfants. L’implication paternelle varie entre des hommes assumant leurs rôles en tant qu’aidants à des hommes fortement engagés sur les aspects socio-affectif et cognitif de la vie quotidienne de leurs enfants.1

Dans de rares cas, il existe également l’exception où le père est plus impliqué que la mère dans certains aspects des soins. Un bon exemple est celui des Aka, un groupe de chasseurs-cueilleurs de République centrafricaine. Les pères Aka accordent environ 22 % de leur temps à leurs nourrissons. Ils les calment et montrent plus d’affection que les mères. Il existe également des obstacles quant au rôle largement vanté par les pères dans le cadre de partage de jeux avec les enfants et la distance affective que les pères, dans certaines communautés asiatiques, ont vraisemblablement assumé dans la socialisation et l’éducation des enfants. Dans certaines communautés culturelles à travers le monde (certains chasseurs-cueilleurs, Indiens, Taïwanais et Thaïlandais, par exemple), les pères s’engagent rarement dans le dur rôle de stimulation par le jeu observé chez les pères européens et américains,8 et dans quelques communautés, les mères s’engagent davantage ou en quantité équivalente dans le jeu comparativement aux pères.9,10 De façon similaire, dans certaines sociétés asiatiques, les différences entre les pères et les mères sont faibles dans l’affection qu’ils affichent envers les jeunes enfants. En bref, il semble que les pères sont de plus en plus impliqués dans les aspects socio-affectifs des soins, mais dans un certain nombre de sociétés en voie de développement, ceci se produit largement sous l’insistance des mères et des enfants.

Relations entre l’implication du père et le développement de l’enfant

Comme le suggèrent Karberg et Cabrera, l’implication du père peut servir de fonction protectrice contre les risques auxquels les enfants sont exposés. Les chercheurs commencent à démontrer comment différents aspects de l’implication du père sont reliés, soit directement, soit indirectement (par exemple, par l’entremise de la qualité de la relation ou de la solidarité familiale) au devenir de l’enfant. Parmi les attributs fondamentaux, l’affection (le caractère chaleureux) et la sensibilité, en tant que construit, semblent influencer de manière analogue le développement de l’enfant, entre les différentes sociétés.11 Tout comme pour les ressources économiques et le niveau d’éducation, on ne peut pas exagérer la primauté de l’affection et de la sensibilité paternelles dans le façonnement des trajectoires de développement de l’enfant. Ces aspects fondamentaux d’affection et de sensibilité établissent une plateforme offerte aux autres aspects relatifs aux engagements significatifs (par exemple, la stimulation cognitive ou la place pour explorer de nouveaux objets et de nouvelles expériences). En revanche, il existe certaines tendances troublantes. De longues périodes de séparation entre le père et la famille (par exemple, chez les Sud-Africains noirs ou les hommes arabes du Moyen-Orient) et les contacts intermittents avec les membres de la famille peuvent avoir des effets néfastes sur le développement cognitif et social de l’enfant. Par ailleurs, les dynamiques structurales et sociales de la famille changent de manière imprévue lorsque les hommes quittent leur famille, à la recherche de meilleures opportunités économiques ou pour s’engager dans de nouvelles relations intimes.12,13 La complexité de ces modes de vie capte seulement maintenant l’attention des chercheurs, dans une communauté mondiale en marche dans laquelle les familles ont des vies transnationales.

Rôle et interventions du père

Le père apporte des biens favorables au développement de l’enfant, mais peut également le placer à risques. Tel que stipulé précédemment, la simple présence du père ne garantit par un lourd investissement sur le plan psychologique. Par conséquent, les chercheurs ont élaboré des programmes d’intervention primaires et secondaires consacrés à l’enfant et à la famille, dans le but de renforcer les relations familiales et les différents aspects de l’implication du père dans la vie des enfants. En se basant sur la science familiale et des modèles écologiques14,15,16 axés sur les processus proximaux (par exemple, les caractéristiques et les compétences des parents ou les systèmes de croyances) et distaux (c’est-à-dire, la qualité du quartier) de la vie des familles dans diverses dispositions structurales, et en se basant sur l’importance accordée aux facteurs de relations protectrices (par exemple, les stratégies de conflit constructives ou le soutien social) qui préservent l’enfant des parents présentant de faibles habiletés parentales, ou des mauvaises conditions du quartier, les chercheurs et les organismes communautaires ont instauré des interventions qui ciblent le rôle du parent, chez les pères. L’objectif suprême de ces programmes est d’améliorer les relations père-enfant, dans l’espoir d’améliorer la vie quotidienne des jeunes enfants et de maximiser leur potentiel de développement. 

Fagan et Palm fournissent une bonne synthèse sur l’impact de ces programmes sur les résultats relatifs au développement de l’enfant. Au sein d’une gamme de programmes (par exemple, le Kangaroo care, la Parent-Child Interaction Therapy, la participation à des programmes éducatifs dédiés aux jeunes enfants ou le massage), les résultats semblent prometteurs quant à la réduction des facteurs de risques paternels et aux difficultés comportementales de l’enfant. Cependant, l’ampleur des effets de ces programmes est relativement faible. On pourrait attribuer ceci aux difficultés associées aux problèmes de méthodologie et au manque d’uniformité dans les stratégies de mesure. Fagan et Palm ont identifié les éléments clés dans la conception des programmes efficaces d’intervention sur la paternité, à savoir : la grossesse et la transition vers la période de parentalité, les années de petite enfance (de 0 à 5 an[s]), le contenu des programmes et la formation du personnel. Dans le même ordre d’idées, Ball et Moselle soulignent qu’il est nécessaire de prendre en considération les problèmes associés à la sensibilité culturelle et à la pertinence lors de l’élaboration de programmes sociaux dédiés aux pères autochtones au Canada. Bien entendu, des plans de recherche plus rigoureux et différents (par exemple, des méthodes combinées) permettraient d’améliorer notre compréhension de l’impact des interventions conduites sur la paternité dans l’augmentation des chances des enfants vivant dans des environnements à risques au niveau de leur domicile et de leur quartier. 

Conclusion

Un défi majeur concernant la recherche relative au rôle de père est de définir des trajectoires culturelles favorables au développement de l’enfant. Entre les différentes cultures, les familles aspirent à imprégner leurs enfants des habiletés nécessaires pour vivre dans leur communauté culturelle. Les objectifs principaux des articles ici présentés étaient de décrire comment ces objectifs sont atteints et le rôle joué par les pères dans ce processus. Nous en savons beaucoup plus aujourd’hui sur l’implication des pères et sur le développement des enfants, comparativement à il y a dix ans. Les pères contribuent de façon significative au développement cognitif et social immédiat des enfants, et ultérieurement aux accomplissements en termes d’éducation et d’adaptation sociale, ce qui réduit les risques encourus par les enfants, particulièrement dans les niches écologiques difficiles. Les études dédiées à l’implication du père ont évolué dans leur sophistication, et il en sera de même pour les constructions théoriques dans cette ligne de travail. 

Références

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Pour citer cet article :

Roopnarine JL, Yildirim ED. Le rôle de père dans divers contextes culturels : un portrait émergent. Commentaires généraux sur le rôle de père. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Roopnarine JL, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/pere-paternite/selon-experts/le-role-de-pere-dans-divers-contextes-culturels-un-portrait-emergent. Publié : Février 2016. Consulté le 18 avril 2024.

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