Le développement précoce de l’attention visuo-spatiale


Dalhousie University et IWK Health Centre, Canada

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Introduction

Une adaptation réussie à notre monde en changement constant dépend de notre capacité à déplacer rapidement notre attention dans l’espace. À partir de très tôt dans la vie, notre capacité à orienter et à rediriger de façon sélective notre attention nous permet de communiquer avec les personnes qui nous sont importantes, de découvrir le monde et de lui donner un sens et de réguler nos réactions émotionnelles.1,2 La « sélectivité spatiale », telle qu’on la conçoit actuellement, se fait grâce au système d’attention visuelle postérieur qui opère les composantes désengager, déplacer et engager.3,4 Pour déplacer son attention dans l’espace visuel et optimiser ainsi la qualité de la « nouvelle » information visuelle, le nourrisson doit d’abord désengager son attention du stimulus sur lequel elle était centrée, la déplacer puis l’engager où se trouve le nouvel objet, en utilisant les capacités de traitement du système visuel.

Sujet

Le système attentionnel postérieur et son fonctionnement via des composantes de sélection spatiale font partie d’un réseau plus étendu de systèmes attentionnels interconnectés qui sont organisés à des niveaux distincts par l’intermédiaire de différentes zones neuronales.3,5 Ce réseau comprend à la fois un système sous-cortical impliqué dans la vigilance, qui maintient une attention soutenue et un état de vigilance, et un système exécutif antérieur (frontal), qui exerce un contrôle volontaire et recrute les ressources nécessaires au comportement orienté vers un but. Vers la fin de sa première année de vie, le développement de son cortex frontal permet au nourrisson d’exercer davantage un contrôle volontaire sur son orientation visuo-spatiale.6-8 Avant cela, ce sont surtout les stimuli externes qui attirent son attention, stimuli auxquels le système attentionnel postérieur répond de façon automatique et relativement rapide. 

Intérêt et état du problème

Étant donné l’importance fondamentale de l’orientation visuelle en ce qui concerne l’adaptation globale, les recherches se sont centrées sur son développement précoce à la fois chez des populations typiques et atypiques. Le développement de l’opération de désengagement est d’un intérêt particulier car il joue un du rôle crucial non seulement dans presque toutes les formes d’apprentissage, mais aussi dans la régulation des émotions.1 Lorsqu’ils sont surexcités par la nouveauté, l’inconnu ou une stimulation excessive, les nourrissons régulent leur état en désengageant leur attention et en la déplaçant ailleurs.

Contexte et questions clés de la recherche

Les données probantes portant sur le développement précoce des opérations de déplacement et de désengagement ont été obtenues en grande partie avec une tâche d’orientation visuelle simple, connu sous l’appellation de « gap task ». Dans cette tâche, l’attention du nourrisson est engagée sur un stimulus attracteur central. Par la suite, le temps que met l’enfant à commencer à diriger son regard (saccade oculaire) vers l’apparition d’un second stimulus en périphérie est mesuré. Il est important de distinguer si les deux stimuli sont visibles en même temps ou non. Les conditions faisant apparaître un intervalle permettent de mesurer l’opération de déplacement : le fait d’éteindre le stimulus attracteur avant de faire apparaître le stimulus périphérique permet le désengagement automatique de l’attention de telle sorte que seul un déplacement est demandé. Le fait de laisser le stimulus central allumé lorsque le stimulus périphérique s’allume (c.-à-d., de faire en sorte que les deux stimuli concourent à attirer l’attention) permet de mesurer l’opération de désengagement : le nourrisson doit d’abord désengager son attention du stimulus attracteur avant de la déplacer vers le stimulus périphérique.

Cette tâche a servi à aborder un certain nombre de questions clés pour la recherche, notamment :

  1. À quel stade du développement l’opération de désengagement entre-t-elle en fonction?
  2. Existe-t-il une association entre le développement de l’opération de désengagement et le fait que les nourrissons soit plus facile à apaiser?
  3. Les problèmes de désengagement qui apparaissent tôt dans la vie sont-ils des prédicteurs de l’autisme et sont-ils associés à une augmentation de l’angoisse/de l’irritabilité?

Résultats récents de la recherche

Développement typique 

Des résultats obtenus en utilisant des tâches différentes de la « gap task » indiquent de façon constante que l’opération de désengagement devient efficace lorsque le nourrisson a entre 3 et 4 mois9-11 (voir aussi la référence 12 pour des données probantes sur son développement chez les jeunes enfants). Globalement, les latences des saccades (les temps de réaction) à désengager et à déplacer l’attention diminuent entre un mois et demi jusqu’à l’âge de 6 mois. À tout âge, les réponses sont plus lentes lorsque les stimuli sont visibles en même temps (situation de désengagement) que lorsqu’un intervalle temporel existe entre les deux stimuli (situation de déplacement), bien que cet effet soit plus important chez les plus jeunes bébés. Avant l’âge de 4 mois, les nourrissons parviennent à focaliser leur attention de façon sélective, mais une fois que leur attention est engagée sur un stimulus particulier, ils ont de la difficulté à la désengager et à la déplacer ailleurs. Ils ont plutôt tendance à fixer longtemps le stimulus, comme étant captivés selon les termes « recherche obligatoire »13 ou « sticky fixation ».14 

Bien qu’il faille encore élucider le réseau neuronal qui sous-tend le développement de l’opération de désengagement, les chercheurs soutiennent que les preuves d’un changement important au cours des premiers 3-4 mois reflètent l’influence croissante d’un signal venant du cortex.15,8,16 Au niveau comportemental, la capacité à désengager son attention est impliquée dans le déroulement de différentes étapes cognitives et sociocognitives importantes (p. ex., regarder en avant et en arrière, comme le requiert l’apprentissage de la discrimination;17 l’apprentissage de la prévoyance;10 et l’attention conjointe;18,19 ainsi que la régulation des émotions).2 En effet, selon ce qu’ont rapporté des parents dans un questionnaire portant sur le tempérament. Les nourrissons âgés de 4 à 6 mois qui ont de la facilité à dégager leur attention vivent moins d’angoisse, plus d’émotions positives. Ces caractéristiques et se retrouvent surtout chez les nourrissons qui sont plus faciles à calmer.20,10,11 Par conséquent, le désengagement ou la distraction semble être, comme le prétendent Rothbart et coll.2, un mécanisme de base par lequel les nourrissons régulent leurs états émotionnels.  

Développement atypique

Des travaux relatifs à ce sujet et pour lesquels on a utilisé la « gap task » ont documenté des retards du développement de l’opération de désengagement dans plusieurs  groupes à haut risque, y compris des nourrissons qui souffraient du syndrome de Williams-Beuren et d’autres, porteurs de lésions du lobe frontal.21,22 Les résultats sont particulièrement impressionnants en ce qui concerne l’autisme et les troubles qui lui sont reliés (les troubles du spectre autistique ou TSA)  ̶  des pathologies définies par  un développement atypique de la communication sociale et un manque de souplesse comportementale/cognitive.23 Les enfants qui présentent un TSA diffèrent des témoins du même âge du point de vue développemental par les temps de réaction longs qu’ils mettent à désengager leur attention visuelle, ainsi que par une prépondérance de l’angoisse associée à leur trouble ou par des comportements d’évitement (p. ex., une respiration rapide et peu profonde, l’évitement du regard d’autrui et un excès de grimaces).18,24,25 Notons par ailleurs que le problème de désengagement observé chez les enfants qui présentent un TSA continue à se manifester à l’âge adulte et que ce problème est particulièrement marqué, chez l’adulte comme chez l’enfant, lorsqu’ils déplacent leur attention vers le côté gauche de l’espace.26-30 Finalement, dans les recherches sur les nourrissons à risque menées sur une fratrie plus âgée atteinte d’un TSA, les problèmes de désengagement observés à 12 mois prédisent un diagnostic de TSA plus tardif et sont caractéristiques, à un moindre degré, du phénotype autistique élargi (c.-à-d., des cas qui ne sont pas des TSA) (Bryson SE et coll., données non publiées, 2009).31-33 D’ailleurs, d’après ce que rapportaient les parents concernant le tempérament, les cas de TSA se distinguaient par des temps de réaction de désengagement vers le côté gauche anormalement longs qui étaient reliés notamment à une faible réactivité, une irritabilité élevée et une capacité réduite à se laisser apaiser. L’asymétrie du dégagement vers le côté gauche et son association avec des effets négatifs impliquent tous deux l’existence d’un dysfonctionnement de l’hémisphère droit dans les cas de TSA qui, étant donné l’âge auquel le problème commence (12 mois contre 6 mois), pourraient être compromis par un développement insuffisant du contrôle frontal/exécutif (Bryson SE et coll., données non publiées, 2009). 

Conclusions, lacunes de la recherche et implications pour les parents, les services et les politiques

En résumé, l’attention visuo-spatiale et ses opérations des composantes de désengagement, de déplacement et d’engagement permet aux nourrissons qui se développent de s’orienter de façon sélective vers les personnes et les événements clés et de réguler leur réactions émotionnelles aux informations sensorielles qu’ils reçoivent. Les résultats des études indiquent que ces opérations apparaissent tôt dans la vie et que le système attentionnel antérieur les contrôlerait de façon croissante, ce qui permet aux nourrissons d’exercer un contrôle volontaire face à une stimulation qu’ils reçoivent. Même si un retard dans l’apparition de l’opération de désengagement peut s’observer dans d’autres maladies, il est particulièrement marqué chez les enfants qui souffrent d’un TSA. En effet, les données qui prouvent à la fois l’apparition précoce et la stabilité de l’altération du désengagement suggèrent qu’il s’agit d’une dimension essentielle du phénotype autistique.34 Parmi les questions encore sans réponses, le désengagement est-il, et jusqu’à quel point, un facteur sous-jacent pour d’autres aspects importants du développement, y compris celui de l’attention conjointe et des compétences socio-communicatives qui lui sont reliées, ainsi que la capacité à ajuster souplement le déplacement et à traiter l’information à la fois au niveau global et au niveau local.18,7,34,35

D’un point de vue plus concret, le nourrisson qui se développe de façon typique est capable d’apprendre et de s’adapter, dès le début de sa vie, grâce à sa capacité à contrôler son attention et à réguler ses états d’angoisse émotionnelle. Les problèmes de désengagement, qui s’expriment souvent chez les nourrissons par une fixation visuelle prolongée ainsi que des niveaux élevés d’angoisse, inquiètent les parents et exigent d'eux beaucoup d'énergie, devraient être considérés comme des signes qui justifient d’orienter ces nourrissons afin qu'ils reçoivent des soins. Le fait de détecter tôt et de traiter de façon appropriée ces signes comportementaux parviendra à prévenir les effets négatifs en cascade si bien documentés chez les enfants qui souffrent d’autisme et de troubles reliés.36 Nous devons plutôt réduire l’angoisse et améliorer les états d’affect positif de façon à optimiser l’apprentissage et l’adaptation chez tous les enfants.  

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Pour citer cet article :

Bryson SE. Le développement précoce de l’attention visuo-spatiale. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/cerveau/selon-experts/le-developpement-precoce-de-lattention-visuo-spatiale. Publié : Août 2010. Consulté le 20 avril 2024.

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