Services et programmes ciblant l'insomnie chez le jeune enfant et le nourrisson


University of Oxford Section of Child and Adolescent Psychiatry, Royaume-Uni
, 2e éd.

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Introduction

Le sommeil constitue l’une des activités principales de l’enfant pendant son développement précoce; un enfant qui entre à l’école a en général passé plus de temps à dormir qu’à effectuer d’autres activités. Comme c’est un aspect aussi primordial du développement précoce, il est important de se centrer sur les anomalies concernant cette activité et sur leurs conséquences pour l’enfant, particulièrement parce que les troubles du sommeil semblent si nombreux chez les jeunes enfants. Environ 25 à 50 % des enfants d’un an ont des difficultés à s’endormir ou se réveillent dans la nuit, et ces chiffres ne diminuent pas de façon spectaculaire quand l’enfant grandit : à l’âge de 3 ans, 25 à 30 % des enfants ont des problèmes de sommeil, et on trouve des pourcentages similaires dans le groupe d’âge des 3 à 5 ans.1 Les taux sont considérablement plus élevés pour les enfants qui ont des « besoins spéciaux » (par exemple, chez ceux qui ont des troubles pédiatriques, psychiatriques ou neurologiques, ou ceux qui ont des retards intellectuels).2

L’expression « trouble du sommeil » englobe un certain nombre de conditions variées; la Classification internationale des troubles du sommeil répertorie plus de 80 troubles du sommeil différents.3 Bien que plusieurs types de troubles du sommeil puissent se produire dans le groupe d’âge de 0 à 5 ans, l’insomnie semble être le problème le plus courant et le plus intraitable auquel les parents et les cliniciens font face, et c’est aussi le type de problème de sommeil pendant l’enfance sur lequel porte la plus grande partie des écrits scientifiques. En conséquence, cet article portera sur les services et les programmes ciblant l’insomnie. France et Blampied4 procurent des modèles utiles des divers processus impliqués dans le développement de l’insomnie chez le nourrisson.

Sujet

De plus en plus, grâce aux avancées de la médecine, on ne juge plus l’efficacité d’une intervention uniquement d’après son impact sur la condition traitée. D’autres variables, comme l’acceptabilité, la conformité et les effets sur d’autres domaines du fonctionnement/du quotidien, sont devenues des aspects saillants qui affectent les choix de traitement, et c’est aussi le cas des traitements pour l’insomnie. Il est important d’établir des associations positives entre une intervention et le développement social ou émotif de l’enfant, pas seulement pour le bien-être de ce dernier, mais aussi pour convaincre les parents, les professionnels et ceux qui subventionnent les services et la recherche que le traitement d’un problème aussi courant est souhaitable, particulièrement s’il peut apporter des bienfaits à long terme et réduire la probabilité que d’autres difficultés se développent, malgré ses coûts possibles (en matière d’émotion, de temps ou d’argent).

Problèmes

La réussite des interventions en matière d’insomnie peut affecter le développement social et émotif de l’enfant de façons multiples. Premièrement, en inversant les effets directs de la perte de sommeil dont on a montré dans d’autres contextes qu’elle avait des effets graves et étendus sur les fonctions cognitives de l’enfant, sur sa réussite scolaire et sur son comportement.5,6

Deuxièmement, il est évident que le problème de sommeil de l’enfant n’affecte pas uniquement ce dernier, mais la plupart du temps la famille au complet, qui subit le stress du problème de l’enfant alors que son propre sommeil est compromis. Il a été rapporté que les mères d’enfants qui ont des problèmes de sommeil ont un bien-être plus faible et le fonctionnement familial peut être tellement compromis qu’on a constaté des associations avec les problèmes conjugaux et même probablement avec la violence physique envers l’enfant.7,8

Troisièmement, certaines interventions comprennent l’enseignement de techniques et de compétences que les parents peuvent utiliser avec l’enfant dans d’autres contextes. Des améliorations subséquentes peuvent donc se produire à cause des changements généraux en matière de compétences parentales.

Les études longitudinales prospectives effectuées sur d’importantes cohortes d’enfants sont nécessaires afin de déterminer la relation causale entre les troubles du sommeil et le développement pathologique de l’enfant. Il est aussi difficile de déterminer le mécanisme d’action de l’impact positif d’une intervention réussie sur l’enfant et sur le fonctionnement familial, en partie parce que les études citées se sont basées sur les rapports subjectifs des parents (à la fois sur le sommeil de l’enfant et sur tous les facteurs sociaux et émotifs associés), et aussi parce c’est généralement la même personne (la mère) qui rapporte ces variables, ce qui donne lieu à des biais systématiques.

Contexte de la recherche

Étant donné que le terme « troubles du sommeil » est si large et que la médecine du sommeil touche plusieurs spécialités médicales et associées, la nature du traitement approprié varie considérablement.9 Les interventions pharmacologiques sont le traitement le plus fréquemment utilisé11 pour les problèmes d’insomnie chez le jeune enfant (la sédation, généralement sous la forme d’antihistaminiques sédatifs ou d’hydrate de chloral; la mélatonine est une approche relativement nouvelle, mais son usage et son efficacité restent discutables).10 La thérapie comportementale (c’est à dire enseigner aux parents différentes stratégies qu’ils peuvent employer pour aider leur enfant à apprendre les comportements de sommeil adéquats et à désapprendre les comportements inadéquats) est désormais plus favorisée. La documentation suggère que les deux types d’intervention montrent une efficacité à court terme, mais que les effets des approches comportementales sont plus durables.12-14

Des techniques comportementales ont été utilisées de façon préventive, et leurs résultats suggèrent que l’on peut « enseigner » un sommeil plus consolidé,15-18 bien que des études de suivi à long terme soient nécessaires afin d’établir la véracité de l’efficacité de la prévention.

Il est important d’établir l’impact des interventions, notamment parce que les techniques elles-mêmes ne sont pas exemptes de critiques; il y a eu des conjectures à l’effet que les techniques comportementales qui impliquent l’ignorance de la demande étaient potentiellement nuisibles pour l’enfant,19 cependant, aucune preuve empirique ne l’a démontré.20-22 La sédation soulève elle aussi des préoccupations sur les effets secondaires, la tolérance et l’insomnie de rebond lorsque l’on cesse le traitement.11 La résistance parentale peut être une question commune aux deux types d’approches.

Questions clés pour la recherche

Lorsqu’ils analysent l’efficacité des interventions sur les troubles du sommeil chez les jeunes enfants, les chercheurs explorent les effets sur le sommeil de l’enfant principalement à partir des rapports des parents (entrées dans un journal ou questionnaires) comme mesures principales, bien que quelques études aient eu recours à des mesures objectives, et davantage d’études sont nécessaires. Le fonctionnement de l’enfant (généralement l’évaluation du comportement chez les enfants d’âge préscolaire) et de la famille ont été évalués essentiellement à l’aide de questionnaires complétés par les mères. Encore une fois, des mesures objectives et indépendantes sont nécessaires, ainsi que des données de suivi à long terme.

Étant donné que l’efficacité des interventions comportementales est acceptée, l’attention s’est récemment tournée vers les aspects de l’administration du traitement (par exemple, la quantité et la nature du temps thérapeutique requises, l’utilisation d’information écrite).23,24

Résultats récents de la recherche

Les thérapies comportementales qui ont réussi à vaincre l’insomnie des enfants ont été associées à plusieurs reprises à la réduction des comportements problématiques chez l’enfant8,22,25 et à l’amélioration de la santé mentale et de la satisfaction maritale des parents.8,26-28 Même lorsque les thérapies comportementales ont utilisées de façon préventive, les chercheurs ont documenté des effets importants sur le stress parental et sur le sentiment d’efficacité.18 Les parents ont rapporté des interactions plus positives avec l’enfant8 et ceci a été observé indépendamment dans certains contextes spécifiques (par exemple pendant le repas).29 Cependant, une minorité d’études n’ont pas réussi à trouver de changements associés,30 ou ont documenté des changements positifs à la fois dans les groupes contrôles et dans ceux qui recevaient le traitement,31 ce qui suggère que davantage de travaux sont nécessaires pour comprendre totalement la relation complexe entre les problèmes de sommeil des enfants, leur traitement et le fonctionnement des membres de la famille. Il se pourrait que des facteurs protecteurs ou prédisposants non encore découverts affectent le résultat ou la réponse au traitement.

Conclusions

Plusieurs études ont découvert des liens entre le succès des traitements comportementaux (et dans une moindre mesure, de la prévention) des problèmes de sommeil chez l’enfant et les améliorations du fonctionnement de l’enfant et de la famille d’une manière susceptible d’avoir un impact considérable sur les interactions sociales et émotives de l’enfant. D’autres types de troubles du sommeil (par exemple, les parasomnies très chargées, les terreurs nocturnes, la somnolence diurne excessive) ne font pas l’objet de cet article, mais sont aussi susceptibles d’affecter le développement de l’enfant (par exemple, en limitant les activités des enfants à cause de la gêne, en induisant de l’anxiété, en limitant les occasions de vivre des expériences, etc.). Goodlin-Jones et Anders32 soulignent le besoin de recherche pour savoir s’il y a des « moments critiques » qui peuvent particulièrement prédisposer un enfant à des pathologies à plus long terme.

Par égard pour l’exhaustivité, il faut reconnaître que les pratiques de sommeil de l’enfant reposent sur des bases culturelles et que les attentes culturelles affecteront les perceptions de ce qu’est un comportement de sommeil acceptable ou anormal.

Implications

La gestion de l’insomnie du jeune enfant est un domaine clinique important, à la fois à cause de sa prévalence et aussi parce qu’elle peut être résolue relativement rapidement et facilement et apporter des bienfaits apparemment étendus. Les preuves empiriques soutiennent le recours à des stratégies comportementales (à court et à long terme) comme traitement de premier choix pour s’occuper de l’insomnie pendant l’enfance. Si l’on veut s’assurer que les enfants reçoivent des traitements appropriés le plus tôt possible (ou de façon préventive), les professionnels (et les parents) ont besoin de davantage d’éducation concernant le sommeil afin que les troubles du sommeil soient reconnus, évalués et diagnostiqués. Globalement, l’éducation actuelle des professionnels sur le sommeil est faible.33-36

Il faut reconnaître que les interventions comportementales peuvent être exigeantes en matière de ressources émotives des parents et de temps du thérapeute, et que les résultats des projets de recherche ne peuvent pas toujours être extrapolés à une situation clinique générale. Par conséquent, une plus grande compréhension de la partie « active » de toute intervention et des moyens de simplifier son administration et sa mise en place devrait être considérée comme prioritaire.

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Pour citer cet article :

Wiggs L. Services et programmes ciblant l'insomnie chez le jeune enfant et le nourrisson. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Petit D, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/sommeil/selon-experts/services-et-programmes-ciblant-linsomnie-chez-le-jeune-enfant-et-le-nourrisson. Actualisé : Mars 2013. Consulté le 25 avril 2024.

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