Leurs racines puisant souvent dans la petite enfance, les problèmes de santé mentale sont nombreux et variés. Ce thème propose un regroupement de textes et de thèmes touchant la santé mentale de la mère et de l’enfant afin de mieux comprendre l’incidence de celle-ci sur le développement psychosocial des jeunes enfants. 

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Synthèse

Thème financé par :

Alberta Centre for Child, Family and Community Research

Est-ce important?

Des études montrent que les problèmes de santé mentale tirent souvent leur origine de la petite enfance. Les troubles mentaux sont nombreux et variés. Ils comprennent entre autres la dépression, l’anxiété, les phobies, la toxicomanie, la schizophrénie et des troubles du développement comme les comportements perturbateurs, l’autisme, la déficience intellectuelle et la démence. Environ 10 % de la population adulte mondiale souffrira, à un moment donné, d’un certain type de trouble mental ou de comportement.1 En 2003, 7 % de la population adulte canadienne souffrait d’une maladie mentale diagnostiquée, ce qui représente près de 1,9 million de personnes, alors que 6 %, soit 1,6 million de personnes, souffraient d’une maladie mentale qui n’avait pas été diagnostiquée.2

L’impact économique est énorme. Dans un rapport de 2002, Santé Canada estimait à 4,7 milliards de dollars en 1998 les coûts directs liés à l’utilisation des services de santé publique et à 3,2 milliards de dollars les coûts indirects liés à une perte de productivité découlant d’absences du travail de courte ou de longue durée ou de décès prématurés.2 Ces chiffres astronomiques ne sont pas particuliers au Canada : des 10 principales causes d’incapacité à l’échelle mondiale, cinq sont des troubles mentaux : dépression unipolaire, trouble de consommation d’alcool, trouble bipolaire, schizophrénie et trouble obsessionnel compulsif.3 

Que savons-nous?

Même si, autrefois, nous croyions que de nombreux problèmes de santé mentale ne concernaient que les « adultes », la plupart du temps, les premiers signes apparaissent pendant l’enfance et l’adolescence. Au cours de la dernière décennie, les outils de diagnostic ont évolué et permettent de cerner des troubles mentaux chez de très jeunes enfants. Certains troubles peuvent toutefois se manifester différemment pendant la petite enfance, selon l’âge de l’enfant et le développement de son cerveau.4 Il est possible de déceler la dépression et l’anxiété pendant l’enfance, et la fréquence des symptômes de ces affections tend à augmenter au cours des cinq premières années de vie.5 Les problèmes de comportement perturbateur sont un autre exemple de troubles mentaux observés chez les enfants. Selon leur âge, ces troubles peuvent comprendre des comportement d’agression, d’opposition et provocation, de manquement aux règles, de vol et de vandalisme. En grandissant, les enfants apprennent à adopter des comportements qui sont socialement acceptables au cours d’interactions avec leur environnement. On observe une situation de « maladie » lorsqu’un enfant se livre à des comportements perturbateurs beaucoup plus souvent que les autres enfants de son groupe d’âge pendant une longue période.6

Facteurs génétiques et environnementaux

Il est généralement admis que les troubles complexes, comme les maladies mentales, se manifestent par l’interaction de nombreux facteurs génétiques et environnementaux.6 D’une part, les gènes ont un effet sur les comportements complexes en influant sur le développement et la fonction des éléments essentiels du système nerveux. Par exemple, le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) semble être un des troubles héréditaires de la santé mentale les plus communs dans l’enfance.7 D’après une étude récente, un déficit du contrôle inhibiteur est un marqueur cognitif de risque génétique partagé par les parents et leur progéniture, et la capacité de contrôle inhibiteur des parents prédispose fortement celle de leurs enfants.7 D’autre part, il est clair que les interactions parent-enfant pendant la petite enfance jettent les fondements du développement social et affectif de l’enfant. D’après des données probantes, des traumatismes pendant l’enfance (maltraitance, négligence ou perte d’un parent) constituent un important facteur de risque du développement de troubles d’anxiété et de l’humeur. À l’inverse, lorsque les enfants reçoivent des soins appropriés, ils sont mieux protégés des effets néfastes du stress. 

La période prénatale est tout aussi importante, le comportement maternel ayant une incidence sur le foetus en développement. Ainsi, l’usage du tabac chez les femmes enceintes augmente le risque que les enfants développent un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, un comportement oppositionnel, un trouble de conduite et des problèmes de toxicomanie à l’adolescence. Les troubles du spectre de l’alcoolisation foetale, une déficience congénitale permanente causée par la consommation d’alcool de la mère pendant la grossesse, sont la première cause de déficience mentale dans le monde occidental. La consommation d’alcool de la mère pendant la période prénatale est aussi associée à des troubles du développement et à des problèmes de comportement. Il a également été démontré que le stress psychosocial pendant la grossesse est lié à un risque accru de développer un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, de  la schizophrénie et des anomalies sociales.

Effets épigénétiques

Un nombre croissant de recherches montre que les facteurs environnementaux influent sur le développement non seulement par les mécanismes psychosociaux, mais aussi par des effets épigénétiques. Il s’agit des mécanismes qui programment l’expression des gènes sans changer leur séquence.8 Les effets épigénétiques sont bien connus dans le domaine de la recherche sur le cancer, et il a récemment été démontré qu’ils peuvent jouer un rôle important dans l’obésité et la régulation du comportement.6 Selon des études menées sur des rats, les ratons qui n’avaient pas été suffisamment léchés par leur mère (c.-à-d. qui avaient été négligés) montraient une modification chimique (méthylation) de l’ADN diminuant la capacité des rats à gérer le stress.9 D’autres études suggèrent que chez les humains aussi, les soins prodigués par les parents peuvent modifier l’expression des gènes et ainsi influencer la régulation du stress. Le régime alimentaire peut également avoir un effet sur l’expression des gènes. Des preuves fournies par deux grands échantillons de population aux Pays-Bas et en Chine montrent qu’une déficience nutritionnelle durant la grossesse est associée à un risque accru de schizophrénie à l’âge adulte. Des données considérables suggèrent que les changements épigénétiques ont un rôle à jouer. Les concentrations d’acide folique, particulièrement au début de la grossesse, pourraient être des facteurs de risque clés dans le développement d’importants troubles psychotiques.10

Que peut-on faire?

Les chercheurs disposent maintenant des outils requis pour effectuer des recherches sur des questions beaucoup plus complexes et réalistes concernant le développement de la psychopathie chez les jeunes enfants. Certaines études canadiennes qui se servent de données de l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ) et de l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ÉLDEQ) ont mené aux premières descriptions du développement de problèmes de santé mentale dans la petite enfance. Par exemple, une étude effectuée sur des enfants de 2 à 11 ans a permis de découvrir que les enfants situés sur des trajectoires élevées d’agression physique étaient plus susceptibles d’être des garçons provenant de familles à faible revenu dont les mères n’ont pas terminé leurs études secondaires et qui ont employé des pratiques parentales hostiles ou inefficaces.11 Une autre étude s’est penchée sur le développement précoce de symptômes d’hyperactivité chez des enfants de 2 à 7 ans et a découvert que le tabagisme pendant la grossesse, le sexe masculin de l’enfant, la dépression maternelle et les pratiques parentales hostiles constituaient des signes précoces de symptômes d’hyperactivité élevée.12 On peut mettre à contribution ces connaissances pour mieux cibler les efforts de prévention et d’intervention. Par exemple, Sylvana Côté et ses collègues ont montré que les enfants de mères ne possédant que peu d’éducation qui fréquentaient une garderie avant l’âge de 9 mois étaient moins susceptibles de montrer des problèmes d’agression physique pendant la petite enfance.13

Devant l’accumulation de preuves sur l’importance de l’environnement pendant la période prénatale et les premières années de l’enfant, il devient clair qu’il faut commencer à intervenir dès le plus jeune âge. Les facteurs de risque des troubles sont déjà clairement en place, bien avant l’âge du début des programmes de “prévention” mis en oeuvre actuellement. La plupart des études d’intervention expérimentale ciblent les adolescents ou les préadolescents, en partie parce que les adolescents provoquent des perturbations sociales plus évidentes que les enfants du primaire ou les tout-petits. Toutefois, « tous les facteurs de risque précoces associés aux comportements perturbateurs semblent indiquer que les interventions précoces devraient débuter dès le début de la grossesse et être maintenues pour soutenir la famille et l’enfant aussi longtemps que nécessaire ».6 En effet, dans un rapport de 2008, l’administrateur en chef de la santé publique du Canada14 a affirmé que d’« investir dans les familles ayant des enfants vivant dans la pauvreté et dans les programmes de développement des jeunes enfants » devrait être la priorité pour régler les problèmes de santé mentale et physique.

Références

  1. OECD. Mental health in OECD countries. Paris, France: OECD; 2008. OECD Policy Brief. 
  2. Lim K-L, Jacobs P, Ohinmaa A, Schopflocher D, Dewa CS. Une nouvelle mesure, fondée sur la population, du fardeau économique de la maladie mentale au Canada. Maladies chroniques au Canada 2008;28(3):103-110.
  3. Parliament of Canada. The Standing Senate Committee on Social Affairs, Science and Technology. Out of the shadows at last: Transforming mental health, mental illness and addiction services in Canada. Ottawa, ON: The Standing Senate Committee on Social Affairs, Science and Technology. Parliament of Canada; 2006.
  4. Angold A, Egger HL. Preschool psychopathology: lessons for the lifespan. Journal of Child Psychology and Psychiatry 2007;48(10):961-966. 
  5. Côté SM, Boivin M, Liu X, Nagin DS, Zoccolillo M, Tremblay RE. Depression and anxiety symptoms: onset, developmental course and risk factors during early childhood. Journal of Child Psychology and Psychiatry 2009;50(10):1201-1208. 
  6. Tremblay RE. Developmental origins of disruptive behaviour problems: The original sin, hypothesis, epigenetics and their consequences for prevention. Journal of Child Psychology and Psychiatry 2010;51(4):341-367. 
  7. Goos LM, Crosbie J, Payne S, Schachar R. Validation and extension of the endophenotype model in ADHD patterns of inheritance in a family study of inhibitory control. American Journal of Psychiatry 2009;166(6):711-717. 
  8. McGowen PO, Meaney MJ, Szyf M. Diet and the epigenetic (re)programming of phenotypic differences in behaviour. Brain Research 2008;1237:12-24. 
  9. Weaver ICG, Cervoni N, Champagne FA, D’Alessio AC, Sharma S, Seckl JR, Dymov S, Szyf M, Meaney MJ. Epigenetic programming by maternal behaviour. Nature Neuroscience 2004;7(8):791-792. 
  10. Rutten PFR, Mill J. Epigenetic mediation of environmental influences in major psychotic disorders. Schizophrenia Bulletin 2009;35(6):1045-1056. 
  11. Côté S, Vaillancourt T, LeBlanc JC, Nagin DS, Tremblay RE. The development of physical aggression from toddlerhood to pre-adolescence: A nation wide longitudinal study of Canadian children. Journal of Abnormal Child Psychology 2006;34(1):71–85. 
  12. Romano E, Tremblay RE, Farhat A, Cote S. Development and prediction of hyperactive symptoms from 2 to 7 years in a population-based sample. Pediatrics 2006;117(6);2101-2110.
  13. Côté SM, Boivin M, Nagin DS, Japel C, Xu Q, Zoccolillo M, Junger M, Tremblay RE. The role of maternal education and non-maternal care services in the prevention of children’s physical aggression. Archives of General Psychiatry 2007;64(11):1305-1312. 
  14. Government of Canada. Ministry of Health. The chief public health officer’s report on the state of public health in Canada 2008: Addressing health inequalities. Ottawa, ON: Ministry of Health. Government of Canada. 
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À lire

Pourquoi la santé mentale des jeunes enfants est-elle importante?

Plusieurs problèmes de santé mentale commencent pendant la petite enfance, incluant la dépression, l’anxiété, le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), l’autisme et les problèmes de comportement perturbateur (p. ex., agressivité, opposition et défiance).

Certains des premiers signes de problèmes de santé mentale chez les enfants sont des changements persistants dans leur comportement qui affecte leur fonctionnement (p. ex., changements d’humeur, niveau d’énergie, sommeil, attitude et appétit). 

Les professionnels disposent désormais d’outils diagnostiques efficaces pour déterminer les troubles mentaux chez les très jeunes enfants. Toutefois, les parents doivent continuer à jouer un rôle prépondérant puisqu’ils sont souvent les premiers à déceler les signes avant-coureurs, d’où l’importance de mieux les informer sur la santé mentale afin qu’ils puissent dès que possible offrir à leurs enfants l’aide dont ils ont besoin.

Publications

Dépistage et évaluation de l’anxiété et de la dépression pendant la petite enfance

Développement et prévention de l'agressivité physique

Stress et développement précoce du cerveau