Rôle que joue la réactivité physiologique dans la compréhension des processus de résilience propres au développement des enfants


Stanford University School of Education, États-Unis

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Introduction

Le stress et l’adversité touchent les enfants de différentes façons. Certains d’entre eux réagissent négativement à des situations difficiles, tandis que d’autres passent au travers. Depuis des décennies, les chercheurs ont étudié la variabilité de ces résultats développementaux dans l’espoir de déterminer des processus qui permettraient à certains enfants de faire preuve de résilience par rapport à l’adversité ou de s’y adapter positivement.1-3 Dernièrement, les chercheurs ont analysé les processus de résilience à différents degrés, de la sensibilité neurobiologique des enfants à l’influence du quartier dans lequel ils ont grandi. En étudiant les processus biologiques, les chercheurs peuvent expliquer plus clairement comment l’adversité devient « partie intégrante » des enfants et pourquoi certains d’entre eux sont plus susceptibles que d’autres de réagir aux répercussions environnementales positives et négatives.

Contexte de recherche

Lorsqu’il fait face à différents défis ou facteurs de stress, le corps des enfants réagit selon une gamme de réponses physiologiques hautement intégrées que l’on appelle « réactivité physiologique », lesquelles regroupent notamment une altération du rythme cardiaque, de la respiration et des hormones du stress. En étudiant les différences en matière de réactivité physiologique chez les enfants, les chercheurs nous aident à comprendre la réciprocité entre l’adversité contextuelle, la biologie et l’adaptation comportementale. Ces différences sont complexes et dynamiques, car elles peuvent dépendre des expériences vécues en début de vie, changer au fil du temps et les répercussions qu’elle a sur l’adaptation peuvent varier selon les contextes et les défis à relever.

La recherche actuelle porte sur deux systèmes que le corps active quand les enfants font face à des défis ou à des situations stressantes. Le premier système réagit selon un répertoire à réaction rapide de changements biocomportementaux appelés « réaction de lutte ou de fuite » et peut également aider le corps à récupérer d’un état d’éveil et à revenir à l’homéostasie. Le deuxième système est lent et prépare le corps à l’exposition chronique au stress en supprimant les systèmes qui n’encouragent pas les réactions immédiates et en augmentant l’énergie accessible pour gérer le stress.4 Les réactions à ces systèmes peuvent être évaluées à l’aide de diverses mesures non invasives comme les relevés cardiaques ou les taux d’hormones des échantillons de salive.5

Questions clés de la recherche

Les chercheurs qui étudient comment la réactivité physiologique est liée à la résilience doivent répondre aux questions clés suivantes :

  • Comment les expériences en début de vie et l’environnement influencent-ils la réactivité physiologique chez les enfants?
  • De quelle manière la réactivité physiologique et l’environnement interagissent-ils pour expliquer les différences en matière d’adaptation et de résilience?
  • Comment les aptitudes de maîtrise de soi chez les enfants influencent-elles la relation qui existe entre la réactivité physiologique et l’adaptation?

Résultats récents de la recherche et lacunes

La réactivité physiologique, un indice d’exposition à l’adversité

Selon les chercheurs en matière de résilience, les différences propres au fonctionnement adaptatif chez les enfants qui ont fait face à l’adversité sont liées aux changements dans leur réactivité physiologique.6 La recherche a montré que l’exposition à l’adversité peut entraîner une réaction au stress non maîtrisée (à savoir, trop forte ou trop faible). Des études portant sur ce lien ont montré qu’en général, les enfants développent une réactivité physiologique au stress accrue7-11 quand les parents sont insensibles ou abusifs en début de vie. Être exposé à la peur en début de vie peut sensibiliser les systèmes des enfants à mieux réagir à de prochaines situations menaçantes en renforçant leur réaction au stress.12,13 Cette réaction physiologique accrue peut servir de mécanisme de protection dans certaines situations de menace immédiate, mais peut également accroître les possibilités d’une psychopathologie comme la dépression ou l’anxiété.11,14 Ce lien montre l’intégration biologique de l’adversité, une hypothèse voulant que l’exposition en début de vie à des environnements négatifs aura un effet tel sur le système nerveux central qu’il nuira au développement cognitif, social et comportemental des enfants.15 Par conséquent, la réactivité physiologique peut illustrer la manière dont les enfants réagissent à l’adversité en début de vie ou de façon chronique.

Il est intéressant de noter que les chercheurs ont également avancé que l’exposition en début de vie à un certain degré de stress psychologique ou physiologique peut favoriser l’adaptation en préparant les enfants à mieux faire face à l’adversité. Cette hypothèse de résistance au stress adopte la métaphore d’un vaccin pour décrire jusqu’à quel point les enfants exposés à un certain degré de stress en début de vie peuvent développer une moins grande réactivité physiologique au fil du temps. Ils seraient donc moins susceptibles d’être stressés plus tard dans la vie. La grande majorité des résultats appuyant cette hypothèse provient de recherches réalisées auprès d’animaux. Par exemple, les bébés singes qui ont vécu un stress momentané en étant séparés en bas âge de leur mère ont montré une moins grande réactivité physiologique : ils étaient moins anxieux, leurs aptitudes cognitives étaient meilleures et ils étaient plus curieux lorsque placés dans une nouvelle situation.16

Bien que nous ne détenions pas de données empiriques sur le fait que ce lien entre le stress et l’adaptation soit similaire chez les enfants, certains chercheurs ont proposé récemment que la résilience pourrait résulter des expériences quotidiennes des jeunes enfants faisant face à des facteurs de stress normatifs, comme un parent qui comprend mal le geste ou la demande d’un jeune enfant, plutôt que des expériences où ils font face à une grande adversité, comme une éducation sévère.17 D’autres recherches doivent être réalisées auprès des enfants pour appuyer cette hypothèse et pour mieux comprendre si la résistance au stress survient quand l’adversité est faible, modérée ou grande.6 Des études pourraient se pencher sur la réactivité physiologique des jeunes enfants quand ils sont exposés à divers degrés de sensibilité maternelle et de quelle manière leur réactivité physiologique est liée à leur adaptation plus tard dans la vie.

La réactivité physiologique, un facteur de susceptibilité aux influences environnementales

La réactivité physiologique a été conceptualisée comme un facteur de susceptibilité aux influences contextuelles. En appliquant des principes évolutionnaires, les chercheurs ont émis l’hypothèse selon laquelle les enfants faisant preuve d’une réactivité physiologique ou comportementale accrue seraient plus sensibles aux environnements positifs et négatifs que leurs pairs, dont la réactivité est plus faible, « pour le meilleur et pour le pire » : une réactivité physiologique accrue peut être mal adaptée selon le contexte d’adversité, mais saine et favorable dans des contextes d’affection et de protection.18,19 Par exemple, dans un échantillon d’enfants d’âge préscolaire, les chercheurs ont découvert qu’une réactivité physiologique accrue augmentait le risque chez les enfants exposés à une grande adversité familiale comme un conflit marital, une dépression maternelle, une éducation sévère et un stress financier. À l’inverse, quand l’adversité familiale est faible, une réactivité physiologique accrue facilite le fonctionnement adaptatif comme de meilleurs résultats scolaires et un comportement plus prosocial.20

Bien que plusieurs études aient démontré qu’il existe un lien entre une faible réactivité et une meilleure adaptation dans l’adversité, nous ne devrions pas présumer que seule une réactivité faible est liée à la résilience.6 Des études prouvent qu’une réactivité physiologique accrue peut protéger les enfants exposés à des conflits interpersonnels,21 soulignant ainsi la plasticité de la réactivité physiologique des enfants et l’importance d’analyser les conditions selon lesquelles la réactivité, faible ou accrue, a un effet tampon contre l’adversité.6

Puisque la résilience se manifeste souvent au fil du temps grâce aux influences positives et négatives, des études devraient permettre de déterminer le moment où la réactivité physiologique accrue facilite l’adaptation des enfants à haut risque.6 Pour y parvenir, les études doivent également évaluer les influences environnementales positives et jusqu’à quel point le fonctionnement adaptatif peut être positif. Les enfants qui réagissent beaucoup sont peut-être plus susceptibles de faire partie de groupes de pairs prosociaux et de bien réagir à une éducation positive et à des programmes d’intervention préventive qui peuvent documenter les prochaines politiques éducatives et sociales visant à améliorer la vie des jeunes à risque.6

Maîtrise de soi, réactivité physiologique et adaptation

Les chercheurs commencent à étudier le rôle que joue la capacité de fonctionnement exécutif des enfants sur la maîtrise de leur éveil physiologique dans le cadre de situations stressantes ou éprouvantes. Les méthodes traditionnelles d’évaluation de la réactivité physiologique ont tendance à simplifier à l’excès la nature dynamique de la réaction physiologique qu’ont les enfants lors d’une situation stressante. En analysant toute la trajectoire de la réactivité des enfants et la récupération subséquente découlant de cet éveil, les chercheurs pourraient déterminer si les enfants à risque élevé sont aussi éveillés et si les enfants résilients récupèrent plus rapidement sur le plan physiologique, ce qui indiquerait que les stratégies de maîtrise de soi sont plus efficaces. Appuyant cet argument, des études précédentes ont établi qu’un éveil physiologique modéré facilitait la maîtrise de soi chez les enfants.22,23 Bien que l’exposition à une grande adversité environnementale peut prédisposer la plupart des enfants à devenir très sensibles physiologiquement, les enfants résilients peuvent également apprendre à maîtriser leurs émotions de manière à récupérer rapidement et facilement de cet éveil. L’analyse de la manière dont les aspects de la réactivité physiologique et de la maîtrise de soi interagissent représentera une étape importante qui permettra de comprendre comment la réactivité physiologique est liée à la résilience développementale.6

Conclusion et implications

Les chercheurs en matière de résilience ont réalisé d’immenses progrès quant à l’établissement d’un lien entre la réactivité physiologique et l’exposition à l’adversité et le fonctionnement adaptatif. Ce travail a souligné l’importance d’analyser la façon dont l’intégration biologique de l’adversité a des répercussions sur les enfants et de quelle manière l’environnement et les réactions physiologiques des enfants interagissent de façon dynamique pour prédire les résultats développementaux. Ces liens peuvent aider les chercheurs et les praticiens à comprendre pourquoi certaines interventions sont efficaces pour certains enfants, mais ne le sont pas pour d’autres et à mieux cibler les services. En étudiant le lien qui existe entre la réactivité physiologique et la maîtrise de soi, nous pourrions mieux comprendre le processus de résilience chez les enfants qui font preuve d’une réactivité physiologique accrue. Nous devons surtout ne jamais oublier que la résilience constitue un processus dynamique. D’autres études longitudinales doivent se pencher à la fois sur la manière dont l’environnement influe sur la réactivité physiologique et sur l’interaction entre les deux afin de comprendre de quelle façon les différences en matière de temps, de degré et de chronicité relativement à l’adversité ont une influence sur la résilience au fil du temps.

Références

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Pour citer cet article :

Portilla XA, Obradović J. Rôle que joue la réactivité physiologique dans la compréhension des processus de résilience propres au développement des enfants. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Masten AS, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/resilience/selon-experts/role-que-joue-la-reactivite-physiologique-dans-la-comprehension-des. Publié : Octobre 2013. Consulté le 24 avril 2024.

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