La résilience chez les jeunes enfants et son impact sur leur développement : commentaires sur Luthar et Sameroff


The Stone Center, Wellesley College, États-Unis
, 2e éd.

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Introduction

Depuis plusieurs dizaines d’années, l’étude de la résilience représente une partie importante de nos efforts visant à comprendre les relations entre l’adversité, le développement et l’adaptation.1,2 Les articles de cette encyclopédie commencent à paraître au moment où l’étude de la résilience entre dans une ère nouvelle et conflictuelle. Par dessus le vacarme des critiques qui demandent l’abandon de la résilience comme concept tautologique, redondant et intellectuellement statique,3,4 d’autres, y compris ces auteurs, mentionnent le potentiel d’information incroyable de la recherche sur la résilience pour la pratique et la recherche future à travers plusieurs niveaux d’analyse.5-7

Luthar et Sameroff fournissent des informations valables et opportunes au sujet de l’étendue de la recherche sur la résilience et ses implications pour les prestataires de services intéressés à favoriser les résultats positifs chez tous les enfants. Les deux auteurs soulignent la nature à dimensions et à déterminations multiples de la résilience en tant que concept décrivant une adaptation supérieure à ce à quoi on s’attendrait dans des contextes d’adversité. Je recenserai les idées principales mises de l’avant par ces auteurs, j’offrirai des suggestions pour étendre et raffiner ces idées, et fournirai des suggestions générales pour les recherches et la pratique futures.

Recherches et conclusions

L’article de Sameroff mentionne la nécessité d’améliorer la clarté du concept de résilience. Il identifie des domaines clés de préoccupation centrés sur le besoin de démontrer que la résilience est différente de la compétence (c’est-à-dire l’adaptation positive en l’absence d’exposition à l’adversité), qui ressort des transactions entre différents niveaux d’analyse et qui est un concept dynamique et multidimensionnel. L’attention de l’auteur sur la résilience en tant que processus développemental et sur la nécessité des considérations contextuelles dans nos façons de la définir et de l’évaluer est fondée. Comme l’observe Luthar à juste titre, la question clé pour les chercheurs en résilience est de comprendre pourquoi « certains enfants placés dans des conditions à risque élevé s’en sortent plutôt bien alors que d’autres s’en sortent beaucoup moins bien. »

Une situation plus compliquée se produit quand nous reconnaissons, comme le fait Sameroff, que ce que nous entendons par « s’en sortir plutôt bien » reflète des notions culturelles d’adaptation positive et négative.8,9 En effet, les deux auteurs soulignent la nature multidimensionnelle et dynamique de la résilience.

Luthar remarque que les enfants peuvent démontrer des compétences dans un domaine plutôt que dans un autre, ou à un moment donné uniquement.

Sameroff va plus loin et insiste sur le fait que les comportements considérés comme adaptatifs dans un contexte socioculturel peuvent se révéler inadaptés dans d’autres contextes. Son argument correspond aux résultats récents qui démontrent que les facteurs et les processus particuliers peuvent opérer différemment en fonction de l’exposition aux risques.10

Cependant, quand il affirme que le comportement antisocial peut refléter la résilience dans des contextes à risque élevé, il nie la réalité où l’adaptation positive dépasse la simple survie; un aspect clé de la résilience est centré sur l’implication positive dans le monde interpersonnel.

Tout en reconnaissant de plus en plus que la résilience est un processus multidimensionnel, l’attention doit porter sur les liens entre les différents aspects de l’adaptation positive (par exemple, la résilience, la compétence) dans le temps et selon les contextes.11

Tout comme la résilience doit être évaluée en fonction des caractéristiques culturelles et contextuelles, les études actuelles sur ce sujet doivent dépasser le simple niveau traditionnel de l’analyse. Les chercheurs doivent s’intéresser aux interactions et aux transactions au sein des systèmes développementaux multiples formant les trajectoires qui s’approchent ou qui s’éloignent de la compétence face à l’adversité (c’est-à-dire la résilience).

À cet effet, Luthar souligne la reconnaissance croissante des influences biologiques sur la résilience. Son travail fait écho aux récentes demandes d’attention plus soutenue envers les corrélats biologiques de la résilience et les éléments qui y contribuent.12,13

Cependant, à part cela, il faut s’intéresser aux transactions entre les influences biologiques et psychosociales de l’adaptation, comme l’a fait Luthar en mentionnant la recherche de Caspi sur les interactions entre les gènes et l’environnement.14,15

La recherche et la théorie contemporaines sur la résilience ont délaissé l’étude des caractéristiques individuelles pour se concentrer sur les processus développementaux qui engendrent des résultats positifs.16-18 À cette fin, les deux auteurs soulignent la conceptualisation de la résilience en tant que processus développemental dynamique plutôt que comme une caractéristique statique.

Luthar le fait très clairement en endossant les termes comme « adaptation résiliente » ou « modèles résilients » plutôt que « individus résilients ».

Sameroff souligne l’hypothèse centrale de la perspective de processus développemental quand il affirme que l’on peut comprendre l’adaptation contemporaine uniquement en considérant les expériences actuelles et historiques. Cependant, à d’autres moments, il semble se centrer davantage sur la résilience en tant que caractéristique ou habileté, plutôt que comme processus développemental, comme lorsqu’il traite du besoin « d’améliorer la résilience d’enfants moins compétents. »

Ces chercheurs appuient à divers degrés l’affirmation voulant que la résilience reflète l’opération de processus adaptatifs normatifs qui permettent aux enfants d’obtenir des résultats positifs malgré l’exposition à une adversité incontestable. Le point crucial de cette définition est que les processus mêmes qui engendrent la compétence dans des circonstances favorables sous-tendent les processus de résilience dans des contextes défavorables. C’est la raison pour laquelle les études sur l’adaptation positive (et l’inadaptation) dans des contextes multiples nous informent et définissent la résilience.

Implications pour les politiques et les services

Bien que la valeur de la résilience comme concept développemental distinct ait été remise en cause, la littérature continue à démontrer que la résilience reflète un processus développemental distinct de l’adaptation positive en l’absence d’exposition à l’adversité (c’est-à-dire la compétence).10,19 De plus, les récents efforts visant à identifier les transactions à travers  les multiples niveaux d’analyse ont révélé de nouvelles sources d’explication intéressantes sur les processus de résilience. Comme notre compréhension de la résilience s’oriente vers une perspective développementale et transactionnelle plus dynamique, les implications pour la recherche et la pratique future sont multiples.

Ces articles incitent à s’intéresser aux études développementales, contextuelles et de niveaux multiples sur la résilience en tant que processus dynamique. Dans cette optique, la résilience ne réside ni dans l’individu, ni dans l’environnement, mais plutôt dans les transactions entre eux.

Comme le mentionne Gottlieb, cette vision rationnelle de la causalité incite à porter attention aux transactions entre ces systèmes développementaux qui favorisent ou qui sapent les processus de résilience.20

À cette fin, le cadre intégratif de la psychopathologie développementale est très prometteur puisqu’il base les futures études sur la résilience sur une vision inhérente au développement à niveaux multiples qui peut incorporer la recherche dans de multiples systèmes biologiques et psychosociaux.17 En plus de faire le pont entre la recherche sur la résilience et la psychopathologie dans de multiples contextes et systèmes, la psychopathologie développementale est particulièrement utile pour encourager les efforts de transfert entre la recherche et la pratique.21,22

La résilience est un processus développemental qui reflète l’opération normative des systèmes d’adaptation de base dans le cadre de l’adversité actuelle ou antérieure.16 En conséquence, les efforts visant à encourager l’adaptation positive des jeunes à risque doivent dépasser les modèles traditionnels de fourniture de biens ou de réduction de risques pour échafauder et amortir les systèmes centraux motivationnels, régulatoires, biologiques et d’attachement qui sous-tendent les trajectoires pathologiques et de compétence.23  

Les programmes d’intervention les plus efficaces réduiront les facteurs liés aux troubles (c’est-à-dire les risques), fourniront des ressources associées à l’adaptation positive (c’est-à-dire des biens) et échafauderont et soutiendront l’opération des systèmes centraux d’adaptation à travers des applications à facettes multiples. La suggestion de Luthar selon laquelle les interventions réussies renforceront les systèmes relationnels centraux en ciblant la qualité et la consistance de l’environnement de garde précoce n’est qu’un des exemples de ces interventions orientées vers les processus.

La résilience et les processus qui l’engendrent ne sont pas statiques. Comme le souligne Sameroff, les processus protecteurs varient de manière prédictible dans le temps et selon le contexte. En conséquence, les interventions doivent être dynamiques, flexibles et culturellement adaptées pour s’assurer de les intégrer dans la culture de la communauté ciblée.

Les applications efficaces de la recherche sur la résilience doivent commencer au niveau de la communauté, cibler de multiples systèmes développementaux et favoriser la participation de la communauté et le renforcement de l’autonomie.5,24

Enfin, le transfert doit aussi s’effectuer dans l’autre sens afin que la pratique puisse fournir des informations à la théorie et à la recherche sur la résilience. Les études qui démontrent des changements dans les processus causals que l’on supposait dépendre de l’intervention, ainsi que les changements correspondants aux résultats prédits fournissent des preuves convaincantes pour les théories sur le changement développemental et la continuité.21 Le temps nous dira si l’étude de la résilience négociera les doubles changements de la clarté conceptuelle et des applications accessibles. Les articles recensés ici nous aident à relever ces défis.

Références

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  24. Cicchetti D, Rappaport J, Sandler I, Weissberg RP, eds. The promotion of wellness in children and adolescents. Washington, DC: CWLA Press; 2000.

Pour citer cet article :

Yates TMF. La résilience chez les jeunes enfants et son impact sur leur développement : commentaires sur Luthar et Sameroff. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Masten AS, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/resilience/selon-experts/la-resilience-chez-les-jeunes-enfants-et-son-impact-sur-leur-developpemen-0. Actualisé : Octobre 2013. Consulté le 28 mars 2024.

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