Prévention des blessures : la noyade


Eunice Kennedy Shriver National Institute of Child Health and Human Development, États-Unis

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Introduction

En 2004, les noyades ont tué plus de 175 000 enfants de moins de 20 ans dans le monde entier1. On estime que pour chaque événement fatal, il y aurait une à quatre submersions non fatales.2-5 Les enfants qui survivent à des accidents assez graves pour justifier des soins médicaux se retrouvent souvent avec un handicap neurologique permanent.6 Il est important de savoir qu’il existe des stratégies de prévention efficaces; cependant, le suivi et la mise en œuvre de ces stratégies représente encore un défi.

Sujet

La noyade est définie comme « un état résultant d’une insuffisance respiratoire provoquée par la submersion ou l’immersion en milieu liquide ».7 Cette définition englobe tous les cas de noyade, mortels ou non. Dans la plupart des pays, les taux de noyades culminent chez les enfants âgés de 1 à 4 ans, avec un taux de décès estimé à plus de 30 000 par an.1 Les décès dus aux inondations et aux accidents du transport fluvial et maritime ne sont généralement pas comptés; ainsi, le vrai nombre de décès est probablement beaucoup plus élevé, en particulier dans les pays dont les revenus sont faibles ou moyens. Les statistiques concernant les accidents non fatals ne sont pas recueillies de façon systématique, ce qui rend difficile l’estimation de l’étendue réelle du problème. Les stratégies de prévention dépendent des circonstances particulières à chaque accident, ainsi que du stade de développement de l’enfant.  

Problèmes

Bien que la noyade soit dans tous les pays une cause importante de décès liés aux blessures, c’est dans les pays à revenus faibles et  moyens qu’elle cause le plus de décès.  Chez les enfants âgés de 1 à 4 ans, les taux vont de 2,8/100 000 dans les pays à revenus élevés à 12,7/100 000 dans les pays à revenus faibles et moyens.1 Les taux varient aussi à l’intérieur des pays. Par exemple, en Chine, les taux de noyades chez les enfants âgés entre 1 et 4 ans vont de 7,7/100 000 dans les zones urbaines à 20,1/100 000 dans les régions rurales.8 Aux États-Unis, les taux sur cinq ans dans ce même groupe d’âge, pour la période de 2002-2006, vont de <1/100 000 dans le Connecticut à 8,0/100 000 en Floride.9 Ces variations sont directement liées aux tendances variables d’exposition à l’eau.

Le lieu où la noyade se produit le plus fréquemment varie selon l’âge et le stade de développement de l’enfant.10-12 Les nourrissons sont très susceptibles de se noyer dans une baignoire, un seau ou dans une étendue d’eau relativement petite dans la maison. La situation la plus fréquente est un manque de supervision de la part de l’adulte, habituellement lorsque la personne qui prend soin de l’enfant le laisse sans surveillance ou lorsqu'un adulte confie cette supervision à un autre enfant pour un court instant seulement, le temps de revenir et de trouver le nourrisson submergé par l’eau. Lorsque les enfants commencent à se déplacer seuls, il est plus probable que les noyades surviennent en dehors de la maison mais dans une étendue d’eau proche de la maison. Généralement, le très jeune enfant accède à une étendue d’eau sans que l’adulte qui le supervise s’en rende compte. Dans les pays développés, l’étendue d’eau consiste le plus souvent en une piscine résidentielle alors que dans les pays en voie de développement, il pourrait s’agir d’un canal, d’un fossé, d’un puits, d’un étang ou d’une autre étendue d’eau près de la maison.10-12 Dans les deux scénarios, l’enfant a habituellement un accès direct à l’étendue d’eau de la maison.

Contexte de la recherche

L’épidémiologie des noyades dans les pays à revenus élevés (p. ex., l’Australie, le Canada et les États-Unis) a fait l’objet de nombreuses études.10,11,13,14 On a mené moins d’études dans les pays à revenus faibles et moyens; cependant, on observe des caractéristiques générales comparables, le risque étant plus élevé pour les jeunes enfants.12,15 On peut classer les stratégies de prévention dans un continuum allant des stratégies passives, qui ne nécessitent pas d’action ou une seule action au niveau individuel, aux stratégies actives qui demandent des actions répétées au niveau individuel. En général, on pense que les stratégies passives sont plus efficaces à prévenir les blessures que les stratégies actives. L’installation d’une clôture tout autour de l’étendue d’eau est un exemple de stratégie passive de prévention des noyades. Pourtant, il est clair qu’aucune stratégie ne préviendra toutes les noyades mais plutôt que les moyens de les prévenir devraient comporter plusieurs facettes.  

Questions clés pour la recherche

  • Quelle est l’étendue réelle du problème?
  • Quelles sont les séquelles à long terme des accidents non fatals?
  • Quelles sont les stratégies disponibles et efficaces pour prévenir les noyades dans les baignoires et dans les autres petites étendues d’eau à la maison?
  • Quelles sont les stratégies passives efficaces pour prévenir les noyades chez les jeunes enfants qui peuvent se déplacer seuls?
  • À quel point les stratégies actives, telles que les interventions visant à améliorer la supervision par l’adulte, sont-elles efficaces?
  • Quelle est l’efficacité des leçons de natation pour prévenir les noyades chez les enfants âgés de un à quatre ans?

Résultats récents de la recherche

Malgré les grands progrès accomplis dans les efforts de collecte des données à travers le monde, la qualité et la disponibilité des données concernant les noyades varient grandement selon les pays, car elles dépendent des systèmes de surveillance en place et de la disponibilité et de la qualité des autres ressources statistiques. Quelques caractéristiques émergent en dépit des limites liées aux données. Par exemple, à travers le globe, les taux de noyades fatales sont plus élevés chez les garçons que chez les filles.1 Cela est vrai dans tous les groupes d’âges à l’exception des nourrissons de moins d’un an. Deuxièmement, les troubles convulsifs ou l’épilepsie sont connus pour augmenter le risque de décès par noyade dans toutes les étendues d’eau, y compris dans les baignoires, les piscines, les étangs et d’autres étendues d’eau naturelles.16,17 Troisièmement, certaines données probantes donnent à penser que les noyades d’enfants sont associées à des caractéristiques sociodémographiques telles que le niveau d’éducation du chef de famille ou des personnes qui s’occupent des enfants.

En ce qui concerne les interventions, il est bien prouvé que les stratégies passives qui éliminent le risque ou créent une barrière qui bloque l’accès à l’eau sont efficaces pour réduire les taux de noyades. On peut citer comme exemples la clôture à quatre côtés qui entoure la piscine, le fait d’isoler complètement la piscine de la maison ou encore de poser un couvercle sur un puits ou de vider l’eau des grands bacs lorsqu’on ne s’en sert pas.18,19 Une revue systématique dans Cochrane des données probantes auxquelles a abouti la recherche et une méta-analyse des données regroupées de trois études de cas-témoins ont montré qu’une piscine clôturée réduisait significativement le risque de noyade comparativement à une piscine non clôturée.18 Cette revue a découvert qu’une barrière isolante  (sur les 4 côtés) se révélait beaucoup plus protectrice qu’une clôture sur 3 côtés (où la maison ou une autre structure fait partie de la barrière), avec un rapport de cotes de 0,17 ou une réduction du risque de 83%. Nous n’avons pas connaissance des éventuelles études qui porteraient sur l’utilisation de barrières isolantes pour d’autres étendues d’eau (p.ex., des étangs).

Les interventions comportementales comprennent, par exemple, le fait d’apprendre à un enfant à nager ou une intervention conçue pour accroître le comportement superviseur des adultes. Des études récentes menées en Chine et aux États-Unis semblaient démontrer que les leçons de natation conventionnelles réduisaient le risque de noyade de 40% à 88% dans le groupe des 1 à 4 ans.20,21 Il va sans dire qu’une supervision constante par un adulte est nécessaire lorsque de jeunes enfants sont dans l’eau ou autour de l’eau. Toutefois, il n’existe pas d’études sur les interventions visant à augmenter la supervision. Bien qu’aucune étude dans la littérature publiée n’évalue de façon formelle l’efficacité de la surveillance de baignade en tant que mesure de prévention primaire, les gardiens de plage et les sauveteurs entraînés peuvent donner l’exemple des comportements sécuritaires, contrôler les comportements risqués des nageurs en piscine et de ceux qui fréquentent les plages, et ils peuvent assurer les secours et les manœuvres de réanimation en temps opportun afin que les accidents de noyade ne se terminent pas par un décès ou ne laissent pas de lésions cérébrales.22 Selon plusieurs études portant sur les adultes, le gilet de sauvetage offre une certaine protection contre la noyade, en particulier si on le porte lorsqu’on fait de la navigation de plaisance.23,24,25 Il est probable que, dans les mêmes situations, ces gilets protègeraient aussi les enfants, bien que leur efficacité dans la prévention des noyades chez les enfants n’ait pas fait l’objet d’une évaluation. Des études ont montré qu’une fois la noyade constatée, l’issue et les taux de survie sont meilleurs si on réanime immédiatement l’enfant plutôt que d’attendre l’arrivée des secours.5 Ainsi, le fait que les surveillants de baignade et/ou ceux qui assistent à un tel accident connaissent les manœuvres de RCR constitue une importante stratégie de prévention secondaire. 

Lacunes de la recherche

Des études sont nécessaires pour déterminer l’épidémiologie des noyades dans les pays à revenus faibles et moyens. Il est particulièrement nécessaire de bien analyser les circonstances qui entourent les accidents afin d’élaborer de possibles stratégies de prévention, surtout de nouvelles stratégies passives de prévention des noyades dans des étendues d’eau qu’il n’est pas facile de clôturer (p.ex., les canaux et les fossés). Il est aussi essentiel de mener des études sur les interventions pour évaluer l’efficacité des cours de natation au niveau de la population et pour évaluer l’efficacité des interventions visant à augmenter la supervision par les adultes des nourrissons et des enfants âgés de 1 à 4 ans quand ceux-ci sont dans l’eau ou près de l’eau.

Conclusions

Les noyades sont une cause importante de décès liés aux blessures à travers le monde. Les enfants qui commencent à marcher sont particulièrement vulnérables puisqu’ils sont à un stade de développement où la curiosité et l’exploration priment et que leurs aptitudes motrices leur permettent d’accéder à une étendue d’eau de surface. Malgré tout, ils ne sont pas encore, d’un point de vue cognitif, capables de comprendre le risque de submersion. Il est important d’examiner les circonstances entourant la noyade pour élaborer des stratégies ciblées pour la prévention. Le scénario le plus fréquent pour les jeunes enfants est la submersion dans une étendue d’eau se trouvant dans ou près de la maison. Les interventions comprennent l’élimination du risque ou la mise en place d’une barrière. Il est important de savoir que les barrières ne s’appliquent pas à tous les scénarios. Il existe d’autres façons d’intervenir  comme s’efforcer d’améliorer la supervision par les adultes et élaborer des stratégies afin d’améliorer la survie ou l’issue une fois qu’une submersion a lieu. Le fait d’enseigner la natation aux jeunes enfants et les manœuvres de réanimation cardio-pulmonaire aux superviseurs adultes sont des exemples de telles stratégies. Il est clair que les campagnes de prévention doivent utiliser une voie d’approche à multiples facettes pour faire face aux nombreuses situations qui mènent à ce résultat tragique.

Implications 

Il est crucial de conseiller aux parents et aux autres personnes qui s’occupent des enfants de ne jamais laisser un jeune enfant sans surveillance lorsqu’il est dans l’eau ou près d’une étendue d’eau, qu’il s’agisse d’un étang, d’une baignoire ou d’une piscine. En outre, des éléments préventifs devraient être en place. Une barrière faite pour empêcher un enfant qui commence à marcher d’accéder à l’eau doit entourer complètement toute piscine résidentielle. Lorsque c’est faisable, il faut utiliser des barrières pour les autres étendues d’eau, comme des couvercles sur les puits. Il faut éliminer le danger chaque fois que cela est possible, par exemple, vider l’eau des grands seaux après usage. Ceux qui prennent soin des enfants devraient apprendre les manœuvres de RCR car les réanimations précoces sont associées à des résultats plus favorables. Il faudrait apprendre à nager aux jeunes enfants mais les personnes qui s’en occupent doivent être averties du fait que les leçons de natation ne suffisent pas, seules, à empêcher  les noyades. Finalement, il faudrait qu’une loi ordonnant la pose de barrières autour des piscines soit décrétée puisque des études ont montré qu’une telle loi augmente la mise en œuvre de cette stratégie éprouvée.

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Pour citer cet article :

Brenner RA, Taneja G. Prévention des blessures : la noyade. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Rivara F, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/prevention-des-blessures/selon-experts/prevention-des-blessures-la-noyade. Publié : Septembre 2010. Consulté le 28 mars 2024.

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