[Archivé] Commentaire sur Smith et Pellegrini et Hirsh-Pasek et Golinkoff


Centre for Research in Human Development, Concordia University, Canada

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Commentaire sur Apprendre en jouant (Smith et Pellegrini) et Pourquoi jouer = apprendre (Hirsh-Pasek et Golinkoff)

Introduction

Les articles de Smith et Pellegrini et de Hirsh-Pasek et Golinkoff apportent une vision informative et à jour concernant l’apprentissage par le jeu. Comme l’a énoncé Piaget, « le jeu est le travail de l’enfance »2, une opinion qui est largement partagée par les chercheurs et les praticiens qui œuvrent auprès des jeunes enfants. Compte tenu du débat entourant depuis longtemps le programme d’enseignement adéquat en matière d’éducation des jeunes enfants — notamment entre ceux qui prônent une démarche centrée sur l'enfant, dont ceux optant pour une approche constructiviste comme la National Association for the Education of Young Children (NAEYC), et ceux qui adhèrent à une approche plus traditionnelle basée sur les compétences —, les discussions sur le rôle du jeu sont opportunes.

Recherche et conclusions

Les deux articles se complètent et apportent une solide base au lecteur à partir de laquelle il peut explorer le sujet plus en détail. Les deux articles offrent des définitions du jeu qui se recoupent quelque peu, mais qui offrent aussi au lecteur une idée de la complexité de l’élaboration d’une définition du jeu. Smith et Pellegrini font une distinction entre le jeu et l’exploration, le travail et les jeux organisés. Hirsh-Pasek et Golinkoff incluent une définition du jeu qui est largement acceptée par les chercheurs en psychologie et en éducation, ainsi que par ceux qui conçoivent les programmes d’enseignement. De plus, ces auteurs mentionnent l’intérêt de longue date porté au jeu des enfants, qui remonte en fait à l’époque de Platon, ce qui suggère que le rôle du jeu dans la vie des enfants est un sujet d’intérêt depuis bien longtemps, sans que l’on soit totalement parvenu à bien le comprendre.

Les deux articles traitent des différents types de jeu, ce qui prouve davantage la complexité inhérente à la compréhension de ce comportement. Smith et Pellegrini discutent de cinq types de jeu (locomoteur, social, objet, langage et simulation), alors que Hirsh-Pasek et Golinkoff se centrent sur quatre types (objet, simulation, physique/désordonné et jeu dirigé). Bien qu’il y ait des recoupements (c.-à-d. simulation, locomoteur/physique), l’analyse rigoureuse des deux listes soulève des questions. Par exemple, les descriptions du jeu de langage et du jeu de simulation fournies par Smith et Pellegrini se recoupent en quelques points et soulèvent la question à savoir comment un chercheur fait la distinction entre les deux. Pourquoi Hirsh-Pasek et Golinkoff ont-ils omis le jeu social? Cette forme de jeu semble être essentielle à la vie des jeunes enfants au fur à mesure qu’ils passent des jeux solitaires à la collaboration avec les groupes de pairs.

Au 20e siècle, deux principaux types de jeu ont été identifiés, et c’est une conceptualisation qui a orienté une grande partie de la recherche : le jeu social1 et le jeu cognitif.2,3 Dans mon esprit, ces grandes catégories sont utiles pour classifier certains types de jeu identifiés dans les deux articles, bien qu’il serait probablement bénéfique d’inclure d’autres catégories, puisque certains comportements ne correspondent pas parfaitement au jeu social ni au jeu cognitif. Surtout, les types de jeu plus physiques pourraient nécessiter leur propre catégorie. De plus, les travaux de Rubin4, 5 fournissent un cadre ou une rubrique utile qui permet d’envisager le recoupement entre différents types de jeu, par exemple, les enfants peuvent jouer à un jeu de simulation en solitaire ou en groupe avec leurs pairs. Cette rubrique est utile pour définir opérationnellement les niveaux de jeu social (p.ex., solitaire, en parallèle, en groupe) et les types de jeu cognitif (p. ex., sensorimoteur, simulation, constructif, jeux comportant des règles) compris dans les niveaux de jeu social.

La catégorie de Hirsh-Pasek et Golinkoff du jeu dirigé est-elle réellement du jeu? Leur définition est plutôt vague et semble contredire jusqu’à un certain point la définition du jeu qu’ils utilisent. En particulier, le jeu dirigé correspond-il au critère de spontanéité et d’absence d’objectifs extrinsèques? Il semble improbable que les adultes participent aux jeux des enfants sans avoir un certain objectif extrinsèque, donc je ne pense pas que cette catégorie cadre avec la définition du jeu. Plus fondamentalement, le jeu est un comportement que les enfants adoptent (avec d’autres ou seuls, parfois avec ou sans objets) et les adultes ont certainement un rôle à jouer pour guider leur comportement vers une meilleure compréhension de concepts ou d’habiletés variés, mais cela n’entre pas dans la catégorie du jeu des enfants.

Hirsh-Pasek et Golinkoff avancent un argument solide selon lequel jouer = apprendre. Leurs arguments reflètent ceux qui soutiennent de manière passionnée que le jeu occupe une place essentielle dans le développement des jeunes enfants, parce que « c’est ainsi que les enfants apprennent ». Smith et Pellegrini sont plus prudents dans leur interprétation de la recherche associant le jeu des enfants et l’apprentissage, et pensent que les données sur le « rôle essentiel du jeu » et l’apprentissage sont exagérées. Mon interprétation de cette lecture suggère qu’il est probablement justifié d’utiliser une approche plus prudente. En fait, les données qui lient le jeu et l’apprentissage sont principalement basées sur des études corrélationnelles, qui, bien qu’intrigantes, ne fournissent pas les données directes requises pour appuyer la relation de cause à effet qu’Hirsh-Pasek et Golinkoff avancent dans leur article. De plus, très peu de travaux délimitent les processus relatifs au jeu qui pourraient être des indicateurs ou des données probantes de l’apprentissage des enfants. En outre, comme les deux équipes d’auteurs l’indiquent, il y a de nombreux types de jeux différents; en conséquence, on ne peut déterminer clairement si des sortes particulières de jeu (et les processus inhérents à ces différents types) sont des facteurs qui favorisent l’apprentissage des enfants dans différents domaines du développement. Néanmoins, comme nous le soulignons ci-dessous, plusieurs excellentes raisons d’étudier les liens entre le jeu et l’apprentissage suggèrent que les chercheurs devraient renouveler leurs efforts pour étudier ce domaine du comportement chez l'enfant.

Implications pour le développement et les politiques

Hirsh-Pasek et Golinkoff ont raison de préconiser de nouvelles recherches pour comparer les expériences et les résultats sociaux et scolaires des enfants qui participent à des programmes destinés à la petite enfance axés sur le jeu plutôt que sur l’enseignement. Ces recherches ont des implications politiques directes pour les types d’expériences éducatives précoces qui sont disponibles pour les jeunes enfants et devraient servir de base pour établir des lignes directrices ou des règles nationales, d’État ou provinciales concernant le programme d’enseignement en milieu préscolaire, à la prématernelle et à la maternelle. La liste des « Cinq C » d’Hirsh-Pasek et Golinkoff, à savoir la Collaboration, le Contenu, la Communication, l’innovation par la Création et la Confiance, est une prescription louable pour les aptitudes à la vie quotidienne.

Smith et Pellegrini abordent des questions liées au jeu, surtout le rôle des adultes en ce qui a trait à la structure de l’environnement pour offrir des matériaux stimulants et des occasions de jouer. Ils recommandent le « jeu pédagogique », qu’ils semblent mettre sur le même pied que le jeu plus structuré et qui serait analogue à la notion d’Hirsh-Pasek et Golinkoff du jeu dirigé. En revanche, ils mentionnent brièvement l’idée du jeu libre. Dans un environnement réellement enrichi et stimulant créé pour les enfants et avec eux, le jeu libre représente des occasions supplémentaires pour les enfants d’orienter et de diriger leur propre jeu, et probablement leur propre apprentissage. L’inclusion de plusieurs activités structurées et dirigées par des adultes va à l’encontre des objectifs du jeu libre. Jusqu’à un certain point, ces activités structurées signifient que les enseignants ne croient pas les enfants capables d’orienter leur propre jeu et leur propre apprentissage. Même s’il y a certainement place à certaines activités structurées dans la classe et, à ce que les élèves reçoivent de leurs enseignants des conseils et un encadrement, il ne faut pas perdre de vue la signification et l’importance du jeu libre chez les enfants.

Les sociétés industrialisées ont des attitudes ambivalentes par rapport au jeu et au travail pendant la petite enfance. Nous avons lu des écrits sur les parents hélicoptères qui planent au-dessus de leurs enfants et qui bourrent leur vie d’activités structurées et organisées (sports, art, danse, activités d’enseignement préscolaire) afin de les préparer à une vie de succès. La vie de ces enfants inclut trop peu de temps pour le jeu libre et pour la détente, ce qui est inquiétant pour leur développement futur. D’autres parents et éducateurs s’inquiètent de l’attirance des enfants pour les jeux de guerre ou de superhéros. Il est primordial de se préoccuper des comportements hostiles et agressifs, mais la décision de bannir un jeu de superhéros de la classe repose davantage sur les perceptions et les rapports anecdotiques que sur la recherche empirique.6

En conclusion, la recherche sur le jeu a plusieurs implications qui ont un rapport direct avec le développement des enfants et les politiques sociales. Certaines de ces implications comprennent la préoccupation croissante concernant l’obésité et le besoin de jeux physiques, les occasions d’explorer les mondes naturels et physiques et la créativité ainsi que les attitudes des parents et des éducateurs concernant la place du jeu dans la vie des enfants, l’étude des liens entre les programmes d’enseignement à la petite enfance axés sur le jeu et les performances scolaires ultérieures, et la réglementation des programmes d’enseignement par des organismes gouvernementaux. Mais en fin de compte, nous devons nous rappeler le grand plaisir que les enfants éprouvent à jouer et le rôle central que ce comportement occupe dans leur vie. Laissons les enfants jouer!

Références

  1. Parten MB. Social participation among pre-school children. Journal of Abnormal and Social Psychology 1932;27(3):243–269
  2. Piaget J. Play, Dreams, and Imitation. Gattegno C, .Hodgson FM, trans. New York, NY: W.W.Norton; 1962.
  3. Smilansky S. The Effects of Sociodramatic Play on Disadvantaged Preschool Children. New York, NY: Wiley; 1968.
  4. Rubin KH., Maioni TL, Hornung, M. Free play behaviors in middle and lower class preschoolers: Parten and Piaget revisited. Child Development 1976;47(2): 414-419.
  5. Rubin KH., Watson KS, Jambor TW. Free play behaviors in preschool and  kindergarten children. Child Development 1978;49(2): 534-536.
  6. Parsons A, Howe N. Superhero toys and boys' physically active and imaginative play. Journal of Research in Childhood Education 2006;20(4):287-300.

Pour citer cet article :

Howe N. [Archivé] Commentaire sur Smith et Pellegrini et Hirsh-Pasek et Golinkoff. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Smith PK, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/jeu/selon-experts/commentaire-sur-smith-et-pellegrini-et-hirsh-pasek-et-golinkoff. Publié : Mars 2009. Consulté le 18 avril 2024.

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