Divorce et séparation : Commentaires sur les articles de D’Onofrio, Vélez, Wolchik et Sandler, et Pedro-Carroll


University of Memphis, États-Unis

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Introduction

Les trois articles de cette section soulignent des thèmes importants qui ont émergé de plusieurs décennies de recherche sur les enfants de parents divorcés. Par extension, nous assumons que les résultats de ces recherches peuvent aussi s’appliquer aux enfants de couples non-mariés qui se séparent, bien qu’il y ait eu peu d’études sur ce groupe spécifique d’enfants. La méticuleuse synthèse de D’Onofrio indique que le divorce est associé à des taux significativement plus élevés de problèmes d’adaptation chez les enfants et que ces problèmes sont souvent observés jusqu’au début de l’âge adulte, mais que seulement une minorité d’enfants touchés par le divorce présentent des problèmes qui justifient un diagnostic ou un traitement. D’Onofrio, Vélez et coll. et Pedro-Carroll mettent tous l’accent sur le fait que ce sont les expériences des enfants dans leur famille, plutôt que le divorce comme tel, qui sont les plus utiles pour comprendre les variations observées dans l’adaptation des enfants après le divorce. Ces expériences variées comprennent, par exemple, l’exposition des enfants au conflit interparental avant et après le divorce, la baisse de statut économique et les perturbations dans les pratiques parentales associées à la transition vers un foyer monoparental. Également, Vélez et coll. et Pedro-Carroll passent en revue des résultats prometteurs à l’effet que les programmes de prévention basés sur la recherche et les programmes d’amélioration des pratiques parentales peuvent favoriser l’adaptation des enfants affectés par le divorce, en entraînant des bénéfices sur les plans socioaffectif, comportemental et académique. Malheureusement, comme le soulignent Vélez et coll., relativement peu d’enfants ont accès à ces programmes.

Recherche et conclusion

Les conclusions des auteurs sont solides et justes, tout comme leurs recommandations liées à la poursuite des recherches et à l’établissement de programmes de prévention basés sur la recherche pour les enfants touchés par le divorce. À la lumière de leurs points communs, nous reprendrons différents thèmes qui émergent de cette série d’articles synthèses. Ces thèmes, dont quelques-uns sont représentés dans les travaux des auteurs, offrent une opportunité d’examiner les défis actuels et d’envisager des avenues de recherche et de pratique futures.

Un problème central dans la problématique du divorce est de conceptualiser le risque, particulièrement à des fins de travaux appliqués. Il est utile de distinguer, d’une part, les facteurs de risque et de protection et, d’autre part, les processus de risque et de protection.1 Les facteurs de risque et de protection ne mènent pas directement à certains résultats, mais ils tendent à augmenter ou diminuer la probabilité que l’enfant développe divers problèmes. Les processus de risque et de protection, quant à eux, sont liés de façon causale aux difficultés et aux réussites de l’enfant; ces processus expliquent pourquoi certains enfants s’en tirent mieux que d’autres dans des conditions adverses. Pedro-Carroll et Vélez et coll. décrivent plusieurs interventions ciblant des facteurs de risque modifiables (p. ex., un environnement familial chaotique) ou des facteurs de protection modifiables (p. ex., les stratégies d’adaptation) pour favoriser une meilleure adaptation de l’enfant pendant la transition que représente le divorce. Ces auteurs mentionnent également des programmes d’intervention qui ciblent des processus de risque (p. ex., les perturbations dans la discipline reliées au divorce, les perturbations dans les relations parent-enfant pendant le divorce et les attributions des enfants relatives au divorce). 

Les termes « facteur de risque » et « processus de risque » sont parfois considérés comme interchangeables et sont utilisés de façon incohérente dans la littérature. Ce problème est aggravé par le fait que des construits similaires peuvent légitimement être conceptualisés à la fois comme facteurs et comme processus de risque. Par exemple, l’emploi à long terme de pratiques parentales incohérentes peut constituer un facteur de risque, car il peut exacerber l’effet du divorce sur les enfants, mais l’emploi de pratiques parentales incohérentes lors du divorce peut aussi être un processus de risque qui explique l’association entre le divorce et certains problèmes chez l’enfant. De façon similaire, des stratégies d’adaptation inefficaces peuvent être un facteur de risque, mais les stratégies d’adaptation de l’enfant face au divorce en particulier peuvent constituer un processus de risque qui explique les problèmes liés au divorce. Hypothétiquement, de meilleurs résultats pourraient être observés chez les enfants touchés par le divorce en intervenant sur un facteur de risque ou sur un processus de risque. Toutefois, les interventions ciblant les processus semblent préférables puisqu’on considère qu’ils ont un effet causal direct sur l’adaptation de l’enfant.2 Il faut aussi noter que les facteurs de risque et les processus de risque interagissent entre eux, de façon complexe. Une articulation prudente du modèle d’intervention favoriserait la conception d’interventions plus efficaces et plus valides au fil du temps et permettrait de tester davantage les modèles conceptuels sur lesquels sont basées ces interventions.1

Un deuxième aspect de la problématique concerne les bénéfices de concevoir et d’interpréter les travaux empiriques à la lumière d’un cadre de travail conceptuel ou d’une théorie. De façon notable, les interventions pour les enfants de parents divorcés qui ont recueilli le support empirique le plus solide sont basées sur des modèles conceptuels clairement établis. Les modèles du stress et de l’adaptation3 et celui des pratiques parentales efficaces4 ont servi de base pour élaborer des interventions ciblant les facteurs et les processus clés qui ont reçu un support empirique dans la littérature. Ces facteurs et processus incluent la perception qu’ont les enfants du conflit et du divorce, les stratégies qu’ils utilisent pour y faire face et leur efficacité, et le support, la discipline et la surveillance de la mère. Le modèle de sécurité émotionnelle5 a aussi le potentiel d’être utilisé comme base d’intervention pour les enfants touchés par le divorce. Ce modèle soutient que le conflit interparental crée une détresse émotionnelle chez l’enfant – dont témoignent sa dysrégulation émotionnelle, ses tentatives de réguler le conflit de ses parents et ses peurs quant à l’avenir de sa famille – qui en retour prédit ses problèmes d’adaptation. Ce modèle a servi de base pour un programme d’éducation aux parents axé sur le conflit marital, qui s’est révélé efficace dans un échantillon de personnes provenant de la population générale.6

Implications pour le développement et les politiques

Les articles de cette section transmettent tous, implicitement ou explicitement, l’idée que les résultats de recherche obtenus pourraient et devraient être appliqués à des interventions qui servent les besoins psychologiques des enfants, bien que les auteurs notent aussi le besoin de solutions économiques. À ce point, nous faisons face à un dilemme : devrait-on continuer à conduire des études d’évaluation à petite échelle ou est-il temps de passer à des études de plus grande envergure basées sur ce que nous avons découvert jusqu’à présent? Le fait que les trois articles de cette section partagent la même vision de plusieurs aspects clés suggère qu’il pourrait y avoir suffisamment de résultats disponibles pour justifier d’aller de l’avant avec des interventions plus largement diffusées. Qu’elles s’adressent à la population générale ou ciblent le sous-ensemble de familles qui ont le plus besoin d’aide, ces interventions doivent être brèves et implantées en contexte communautaire (voir Vélez et coll.).

Les programmes d’intervention les mieux évalués (certains centrés sur l’enfant, certains centrés sur les parents), que Vélez et coll. ont passé en revue, et les programmes de parentage mentionnés par Pedro-Carroll, sont des programmes étalés sur plusieurs sessions, qui abordent un nombre relativement large de sujets. Certains des sujets sont génériques, en ce sens qu’ils pourraient être inclus dans n’importe quel programme de parentage ou programme destiné aux jeunes à risque. Des exemples de ces sujets généraux incluent le parentage démocratique, la réduction du stress et les relations positives avec la famille élargie. De façon similaire, les résultats recherchés dans ces programmes – comme l’augmentation de l’estime de soi, la réduction des problèmes en classe et la diminution des conduites d’internalisation et d’externalisation – sont des buts communs à une vaste gamme d’interventions, pas seulement à celles qui s’adressent aux enfants touchés par le divorce. Alors que nous cherchons à créer des interventions plus brèves, il faudrait peut-être se concentrer sur des sujets spécifiques au divorce, comme la relation entre l’enfant et le parent qui n’en a pas la garde, le conflit interparental après le divorce, le coparentage et le stress entourant les transitions entre les deux foyers (voir Pedro-Carroll). Les mesures des résultats des interventions devraient aussi être liées plus étroitement à l’adaptation de l’enfant au divorce, en incluant par exemple ses perceptions du divorce (voir Vélez et coll.). 

Pedro-Carroll souligne l’utilité de travailler avec le système juridique. En effet, la collaboration avec les tribunaux pourrait être la clé de la diffusion d’interventions pour les enfants touchés par le divorce à grande échelle. Trois exemples illustrent le potentiel de ce type de collaboration. Premièrement, comme la plupart des juridictions requièrent que les parents impliqués dans un litige sur la garde des enfants suivent un cours de parentage, celui-ci portant typiquement sur les effets du conflit sur les enfants, le parentage, le coparentage et les procédures juridiques de résolution des litiges, une avenue pour rejoindre plusieurs familles serait d’implanter une brève intervention basée sur la recherche dans le contexte de ces programmes obligatoires.7 Deuxièmement, les praticiens pourraient développer des programmes spécifiques aux situations de conflit intense et collaborer avec des magistrats locaux pour que ceux-ci requièrent ou recommandent que certains parents participent à ces programmes.8 Troisièmement, les chercheurs et les praticiens ont un rôle à jouer dans le développement des politiques (voir Emery9), en rendant l’information issue de la recherche disponible aux législateurs qui déterminent les mandats de la médiation, des classes de parentage et des plans de parentage ainsi que les horaires de visite par défaut. 

Les programmes basés sur la recherche se sont concentrés presque entièrement sur les enfants de parents mariés qui divorcent et ont donc exclu un large nombre d’enfants touchés par la dissolution de la relation entre leurs parents. Les partenaires non-mariés incluent les couples qui vivent ensemble mais qui choisissent de ne pas se marier, les couples qui ne peuvent pas se marier légalement (comme les couples homosexuels dans plusieurs régions des États-Unis) et les partenaires à court terme qui ne maintiennent pas leur relation (voir D’Onofrio). Nous pouvons nous attendre à ce que les interventions destinées aux enfants touchés par le divorce soient aussi utiles aux enfants touchés par ces autres formes de dissolution de relation. Toutefois, les programmes qui offrent de l’information juridique aux parents devraient être ajustés pour inclure les procédures juridiques qui s’appliquent aux couples non-mariés. De même, dans plusieurs juridictions, les litiges concernant la garde des enfants sont traités par des tribunaux différents selon que les partenaires soient divorcés ou n’aient jamais été mariés et les exigences juridiques (p. ex., pour la médiation) peuvent différer pour les deux groupes de parents. 

Références

  1. Cicchetti D. Development and psychopathology. In: Cicchetti D, Cohen DJ, eds. Developmental psychopathology, Vol. 1. 4th ed. New York, NY: Wiley; 2006: 1-23.
  2. Cummings EM, Davies PT, Campbell SB. Developmental psychopathology and family process: Theory, research, and clinical implications. New York, NY: Guilford Press; 2000.
  3. Lazarus RS, Folkman S. Stress, coping, and appraisal. New York, NY: Springer; 1984.
  4. Darling N, Steinberg L. Parenting style as context: An integrative model. Psychol Bull. 1993; 113: 487-496.
  5. Davies PT, Cummings EM. Marital conflict and child adjustment: An emotional security hypothesis. Psychol Bull. 1994; 116: 387-411.
  6. Cummings EM, Faircloth BF, Mitchell PM, Cummings JS, Schermerhorn AC. Evaluating a brief prevention program for improving marital conflict in community families. J Fam Psychol. 2008; 22: 193-202.
  7. Pollet SL, Lombreglia MA. Nationwide survey of mandatory parent education. Fam Court Rev. 2008; 46: 375-394.
  8. Kitzmann KM, Parra GR, Jobe-Shields L. A review of programs designed to prepare parents for custody and visitation mediation. Fam Court Rev. In press.
  9. Emery RE. Interparental conflict and social policy. In: Grych JH,  Fincham FD, eds. Interparental conflict and child development: Theory, research, and applications. New York, NY: Cambridge University Press; 2001: 417-439.

Pour citer cet article :

Kitzmann KM, Stapleton M. Divorce et séparation : Commentaires sur les articles de D’Onofrio, Vélez, Wolchik et Sandler, et Pedro-Carroll. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Emery RE, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/divorce-et-separation/selon-experts/divorce-et-separation-commentaires-sur-les-articles-de-donofrio. Publié : Décembre 2011. Consulté le 28 mars 2024.

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