Les congés parentaux : une question complexe. Commentaires sur Ruhm, Lero et Kamerman


Carleton University, Canada
, 2e éd.

Version PDF

Introduction

Les articles de Ruhm, de Lero et de Kamerman traitent des effets des congés maternels et parentaux sur les enfants et sur leurs familles. Les auteurs soulignent ce que l’on sait à ce jour, suggèrent le type de recherche nécessaire et présentent des recommandations sur la façon de développer des politiques dans ce domaine.

Recherche et conclusions

Les trois auteurs parviennent à des conclusions similaires dans leurs articles :

  • Les congés parentaux sont un compromis important destiné à augmenter les capacités des familles à équilibrer les besoins du travail et du foyer.  Ruhm
  • Les congés parentaux représentent une modeste proportion du budget. Pour tous les pays, ils forment une partie essentielle des politiques sur les enfants et sur la famille et constituent une composante primordiale des politiques sur les soins et sur l’éducation des jeunes enfants.  Kamerman
  • Les congés de paternité et les prestations font parfois partie des politiques familiales qui protègent la santé de l’enfant et de la mère, parfois des politiques d’emploi qui promeuvent l’égalité des sexes et qui respectent les droits des travailleurs de combiner les responsabilités professionnelles et familiales, et sont parfois considérées comme un élément essentiel des politiques d’éducation et de soins aux jeunes enfants.  Lero

Pour que les déclarations ci-dessus soient vraies, cependant, les hommes et les femmes devraient être aussi susceptibles les uns que les autres d’avoir recours à ces politiques (sinon, nous étudierions les congés de maternité), et aucune conséquence négative relative à l’emploi n’y serait associée (les conséquences négatives reliées à l’emploi sous-entendent un manque d’équilibre). Malheureusement, la recension des écrits traitant de la recherche dans le domaine des affaires indique qu’aucune de ces hypothèses n’est vraie.

Est-ce que les hommes et les femmes sont susceptibles d’avoir recours aux congés parentaux de façon égale? Bien qu’il existe peu de recherche sur les congés de paternité, la réponse à cette question semble être un « non » retentissant! Très peu d’hommes semblent prendre des congés de paternité. Au lieu de cela, ils prennent quelques jours de vacances ou d’autres jours de congés personnels payés (ce que Peck appelle un « congé de paternité officieux ») à la naissance de leurs enfants.1

De plus, de nombreuses preuves empiriques montrent que les femmes qui prennent un congé parental ou de maternité subissent des conséquences négatives au travail. Dans une étude très récente, Budig et England2 rapportent une pénalité salariale d’environ 7 % par enfant chez les jeunes femmes américaines.

Une étude récente effectuée par Statistique Canada3 indique que la maternité est aussi associée à un écart salarial au Canada. À partir des données de l'Enquête sur la dynamique du travail et du revenu effectuée en 1998, Drolet a déterminé que les mères qui enfantaient plus tard dans la vie gagnaient 6 % de plus que celles qui avaient eu leurs enfants tôt. Bien que l’on ait observé cet écart salarial chez les femmes de tout âge, l’incidence est plus élevée chez les jeunes femmes canadiennes. Drolet remarque aussi que les écarts salariaux sont plus grands en fonction du moment où les femmes ont des enfants qu’en fonction de celui où elles se marient. D’une part, les mères qui retardent leur grossesse obtiennent un taux horaire moyen de 17,1 % supérieur à celles qui choisissent d’avoir des enfants plus tôt. D’autre part, les femmes qui retardent leur mariage gagnent 7,8 % de plus que celles qui se marient tôt. Andrew et al.4 ont rapporté des résultats similaires : ils ont trouvé une relation inverse entre le succès professionnel des femmes et le nombre d’enfants qu’elles choisissent d’avoir.

Les recherches récentes soutiennent l’hypothèse selon laquelle la cohorte des femmes qui sont au début de la période où elles pourraient enfanter démontre un manque d’enthousiasme marqué vis-à-vis de la maternité. Cette conclusion s’appuie sur une recherche récente qui a relevé qu’une propension croissante de femmes professionnelles ne voulaient pas d’enfant ou souhaitaient retarder leur maternité.3-5 Les données publiées en 2002 par Statistique Canada indiquent que le taux de fécondité total au Canada a diminué de façon importante au cours des dernières décennies. De 1979 à 1999, la fécondité des Canadiennes âgées entre 20 et 24 ans a baissé de presque 40 % alors que la fécondité de celles qui ont entre 25 et 29 ans a diminué d’environ 25 %. En 1999, le taux de fécondité atteignait le taux record de 1,52 enfant par femme. Drolet remarque aussi que « les tendances actuelles en ce qui a trait au mariage et aux modèles de fécondité suggèrent que les jeunes femmes canadiennes retardent la fondation d’une famille et se concentrent sur le développement de leur carrière. » 3

La théorie du capital humain6 peut être utilisée pour expliquer pourquoi la maternité devient moins attirante pour les femmes qui occupent des postes professionnels ou de gestion. Selon cette théorie, les gens investissent dans l’acquisition de formation ou d’expériences pour améliorer leurs revenus ou pour obtenir de meilleurs salaires. Plus l’investissement de l’employé est grand, plus le coût potentiel d’un retrait du marché du travail est élevé, et donc moins l’employé aura tendance à se retirer du marché.1 Toujours selon la théorie du capital humain, les femmes qui investissent le plus dans leur carrière (c’est à dire qui ont plus d’éducation, plus d’expérience professionnelle et plus d’ancienneté) seraient moins susceptibles d’avoir des enfants si elles pensent que le fait de prendre un congé de maternité risque de réduire leur capital humain.7

Ce phénomène n’est pas nouveau. Dans une recherche historique, Goldin8 s’est penché sur la relation entre la carrière, le mariage et les enfants en retraçant le taux de participation au marché du travail de cinq cohortes de femmes américaines diplômées du secondaire au cours du siècle dernier. Cette étude a conclu que le fait de combiner la carrière et la famille a toujours représenté une tâche décourageante pour les femmes et qu’au cours du siècle dernier, une proportion considérable de femmes diplômées au niveau collégial ont résolu la question des exigences conflictuelles entre la carrière et la famille en décidant de ne pas avoir d’enfants.

Une recherche récente effectuée par Sylvia Ann Hewlett9 a aussi exploré cette question. La recherche de Hewlett a porté sur deux cohortes de femmes professionnelles de deux tranches d’âge : la génération avancée âgée entre 42 et 55 ans et la génération plus jeune âgée entre 28 et 40 ans. Selon son étude, 33 % des femmes qui ont un haut niveau de réalisations (dans la cohorte des plus jeunes, ce niveau est défini ainsi : celles qui gagnent un minimum de 55 000 $ par an, et dans la cohorte des femmes plus âgées, un minimum de 65 000 $ par an) n’avaient pas d’enfant à l’âge de 40 ans. La moitié de celles qui appartenaient au groupe des réalisations extrêmement élevées (les femmes qui gagnaient 100 000 $ par an), n’avaient pas d’enfants. Hewlett a conclu son étude en soulignant qu’il y avait une corrélation négative entre le succès professionnel et la probabilité d’avoir une famille avec enfants. Dans l’ensemble, toute cette documentation suggère que les décideurs politiques doivent envisager la question sous un angle plus large que celui des congés parentaux et de maternité s’ils souhaitent faciliter la tâche des professionnelles qui veulent un enfant.

La recherche dans le domaine des congés parentaux et de maternité est également limitée par le fait que la question des problématiques associées aux cycles professionnels des femmes est souvent traitée indépendamment (ou comme étant non pertinente) des cycles de vie (c’est à dire à quel moment avoir des enfants ou combien de temps rester à la maison avec un enfant). Malheureusement, ces deux éléments ne sont pas indépendants. Les meilleures années pour avoir des enfants coïncident avec celles du développement et de la progression de carrière. Hewlett illustre cette situation inextricable par une excellente citation de l’économiste Lester Thurow :

Les années entre 25 et 35 ans sont fondamentales pour établir une brillante carrière. Ce sont les années pendant lesquelles les efforts professionnels sont les plus payants. Ce sont aussi des années importantes pour constituer une famille. Les femmes qui quittent le marché du travail pendant ces années (c’est à dire qui prennent des congés parentaux ou de maternité) peuvent constater qu’elles ne combleront jamais leur retard.10

L’impact de la carrière des femmes sur leur ambivalence par rapport au fait d’avoir des enfants peut être attribué à un changement des attentes envers la carrière, changement qui a conduit plusieurs femmes à instaurer des modèles de carrière similaires à ceux de leurs pairs masculins.11 Les années au cours desquelles on développe sa carrière et son avancement professionnel sont souvent caractérisées par des exigences intenses au travail, de longues heures et des déplacements difficiles reliés à l’emploi. Ces exigences professionnelles sont incompatibles avec la tâche de porter un enfant et de l’élever. Étant donné que le fait d’avoir des enfants tardivement permet aux femmes d’avoir un meilleur cheminement de carrière, tant sur le plan du salaire que de la permanence, beaucoup d’entre elles semblent retarder la fondation de la famille. Ces retards se traduisent souvent par de plus petites familles ou par l’absence d’enfants.

Conclusions

Que savons-nous des impacts des congés parentaux sur les problèmes des enfants et des familles? Si l’on se base sur ces articles, on semble savoir peu de choses. Les auteurs relèvent un certain nombre de problèmes concernant la recherche dans ce domaine, problèmes qui nous empêchent de tirer des conclusions significatives à propos des effets des politiques de congés parentaux sur les enfants et sur les parents. Les carences relevées par les auteurs incluent le manque de recherche sur une gamme de facteurs importants qui peuvent intervenir entre l’enfance et les périodes subséquentes de la vie, incluant la structure du ménage et la disponibilité de services de garde de haute qualité, des résultats incohérents et des tailles d’effets relativement limitées. Ils font aussi remarquer que les mécanismes qui permettent aux parents de s’investir dans les soins dispensés aux enfants et qui peuvent conduire à de meilleurs résultats sont inconnus à ce jour. Ruhm souligne qu’il est difficile de déterminer comment le recours au congé parental affecte les enfants, puisque les mères qui prennent des congés quand les enfants sont jeunes sont probablement différentes de celles qui n’en prennent pas. Ces limites indiquent qu’on devrait être extrêmement prudents lorsqu’on applique la recherche disponible. Au lieu de cela, cette documentation laisse au lecteur l’impression regrettable que l’emploi maternel a un impact négatif sur les enfants.

Implications

Les trois auteurs examinent les politiques de congé parental et de maternité. Cependant, la majeure partie de la recherche dans ce domaine est centrée sur les impacts des mères qui choisissent de travailler plutôt que de rester à la maison avec leurs jeunes enfants pendant les quelques premières années, ou encore sur l’impact des mères qui choisissent de prendre un congé de maternité. Le simple fait de qualifier cette politique de congé « parental » n’a pas modifié la façon dont elle est considérée. Elle demeure en grande partie une politique destinée aux femmes. Comme le font remarquer Budig et England :

Bien que les avantages des soins maternels soient largement répandus – aux employeurs, aux voisins, aux amis, aux époux et aux enfants des adultes qui reçoivent ces soins – ce sont les mères qui subissent de façon disproportionnée les coûts de l’éducation des enfants.2

Il faut absolument réconcilier les besoins de la société (c’est à dire la croissance de la population et le développement des enfants) avec les besoins des professionnelles (soit les besoins de leur carrière et le choix d’avoir des enfants). En effet, les chercheurs doivent pousser plus loin leur analyse des congés maternels et paternels parce que les changements de politiques ne dicteront pas à elles seules un changement culturel.

Selon moi, la recherche actuelle et les politiques centrées sur les congés parentaux offrent une solution simple à ce que les trois auteurs (particulièrement Lero) qualifient de problème complexe. Les congés parentaux ne constituent qu’une des composantes d’un ensemble de politiques et de mécanismes de soutien qui doivent être développés afin d’aider les parents à équilibrer les exigences contradictoires du travail et de la famille. Afin d’aborder ce problème de façon significative, nous devons nous pencher sur la façon de réduire le fardeau financier des femmes qui portent et qui élèvent des enfants. Ainsi, nous ne devrions pas limiter pas nos considérations aux politiques sociétales comme les congés parentaux et de maternité. Nous devrions plutôt nous pencher sur la façon dont les emplois sont structurés et comment les employés sont rémunérés (par exemple, la rémunération est actuellement reliée aux années d’expérience, à l’ancienneté et à la capacité de travailler pendant de longues heures). Il serait aussi utile d’étudier la question des politiques d’impôts et de taxes (par exemple, de quelle façon peut-on encourager les pères autant que les mères à prendre des congés parentaux?).

Les autres domaines (tels que relevés par les auteurs) pour lesquels des études supplémentaires seraient intéressantes sont les suivants :

  • Pourquoi les femmes retournent-elles travailler tôt?
  • Pourquoi les hommes ne prennent-ils pas de congés parentaux?
  • Qu’est-ce qui détermine la durée du congé de maternité que la mère va prendre?
  • Qu’est-ce qui détermine la durée du congé de paternité que le père va prendre?
  • Qu’est-ce qui peut être fait pour normaliser les congés à la fois pour les mères et pour les pères?
  • Pourquoi les femmes décident-elles de ne pas avoir d’enfants ou d’en avoir moins?
  • Que peuvent faire les organisations pour aider les parents qui travaillent à être efficaces à la fois à la maison et au travail? Que peuvent faire les gouvernements?

C’est seulement après avoir trouvé des réponses à ces questions que nous pourrons développer des politiques et des services qui viennent en aide aux bénéficiaires auxquels ils sont destinés.

Références

  1. Lyness KS, Judiesch MK. Are female managers quitters? The relationships of gender, promotions, and family leaves of absence to voluntary turnover. Journal of Applied Psychology 2001;86(6):1167-1178.
  2. Budig MJ, England P. The wage penalty for motherhood. American Sociological Review 2001;66(2):204-225.
  3. Drolet M. Wives, mothers and wages: does timing matter? Ottawa, Ontario: Analytical Studies, Statistics Canada; 2002.
  4. Andrew C, Coderre C, Denis A. A women in management: The Canadian experience. In: Adler NJ, Izraeli DN, eds. Competitive frontiers: Women managers in a global economy. Cambridge, Mass: Blackwell Publishers; 1994:377-387.
  5. Hajnal VJ. Can I do a good job of both family and work? Decisions regarding offspring. In: Reynold C, Young B, eds. Women and leadership in Canadian education. Calgary, Alberta: Detselig Enterprises Ltd; 1995:145-155.
  6. Blau FD, Ferber MA, Winkler AE.The economics of women, men, and work. 3rd ed. Upper Saddle River, NJ: Prentice Hall; 1998.
  7. Lehrer EL. The impact of children on married women’s labor supply: black-white differentials revisited. Journal of Human Resources 1992;27(3):422-444.
  8. Goldin CD. Understanding the gender gap: an economic history of American women. New York, NY: Oxford University Press; 1990.
  9. Hewlett SA. Creating a life: professional women and the quest for children. New York, NY: Talk Miramax Books; 2002.
  10. Thurow LC. 63 cents to the dollar: the earnings gap doesn’t go away. Working Mothers 1984;October:42.
  11. Faux M. Childless by choice: choosing childlessness in the eighties. Garden City, NY: Anchor Press/Doubleday; 1984.

Pour citer cet article :

Duxbury L. Les congés parentaux : une question complexe. Commentaires sur Ruhm, Lero et Kamerman. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/conges-parentaux/selon-experts/les-conges-parentaux-une-question-complexe-commentaires-sur-ruhm-lero. Actualisé : Mars 2007. Consulté le 29 mars 2024.

Texte copié dans le presse-papier ✓