Mesure de la maturation du cortex auditif chez le nourrisson par électroencéphalographie (EEG) : traitement de la hauteur du son, de la durée et de la localisation des sons.


McMaster University, Canada

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Introduction

Le système auditif a trois fonctions principales: identifier et localiser des objets, percevoir la musique et comprendre le langage. Toutes ces fonctions dépendent du traitement efficace des caractéristiques de base des sons. Il est possible d’utiliser l’électroencéphalographie (EEG) chez les nourrissons pour mesurer, par exemple, comment le cortex auditif traite la hauteur du son (ou tonie), les différences temporelles fines et la localisation des sons. En particulier, la réponse du cerveau à une stimulation sonore (les potentiels évoqués cognitifs (PEC)) change avec l’âge du point de vue morphologique (c.-à-d., quels pics positifs et négatifs sont enregistrés à quel endroit au niveau du cuir chevelu) et du point de vue de l’amplitude et de la latence des pics présents.1 Il est aussi possible d’analyser les PEC dans le domaine des fréquences au cours du développement, en observant dans l’activité calée en phase ou non-calée en phase, les changements dans les différentes bandes de fréquence telles que alpha, bêta et gamma.2,3 Plusieurs facteurs contribuent probablement à ces changements. Des processus tels que les vagues de myélinisation, la prolifération synaptique, l’élagage synaptique et la présence et le taux de neurotransmetteurs variés sont largement sous contrôle génétique.4,5 Ces processus permettent le développement de circuits plus efficaces pour le traitement des signaux auditifs. En même temps, l’expérience influe largement sur les détails du réseau formé, en renforçant les connections synaptiques qui reçoivent des influx simultanés alors que d’autres connections sont affaiblies ou éliminées. Ainsi, toute l’expérience spécifique avec des sons de hauteurs différentes, des sons contenant des différences temporelles fines et des sons provenant de localisations spatiales différentes influe sur le développement auditif. À un niveau plus élevé, le langage et le système musical spécifique auquel le nourrisson ou l’enfant est exposé contribuent aussi de façon substantielle à la maturation du système auditif, permettant le traitement efficace de certains systèmes de hauteur tonale musicales, de certaines structures rythmiques et de certaines catégories phonémiques.6 Nous décrivons ici les changements spectaculaires observés dans les PEC au cours du développement et nous indiquons comment il est possible d’utiliser ces changements pour diagnostiquer des anomalies précoces du développement auditif.

Sujet

Les capacités auditives de base sont décisives pour l’acquisition du langage et de la musique qui permettra de communiquer et de connaître un développement émotionnel et social sain. Les PEC auditifs enregistrés par EEG en réponse à des stimulations sonores peuvent suivre le développement du traitement auditif. Nous décrivons ici ce qui est connu du développement normal des réponses de type PEC à des stimuli auditifs de base, comment ces réponses changent avec l’âge, et comment l’expérience musicale influe sur elles. Les PEC auditifs pourraient être utilisés comme indicateurs pour le diagnostique des anomalies précoces du développement auditif central.

Problèmes

Il serait très utile de diagnostiquer les difficultés de traitement aux premiers stades du développement puisque plus tôt ces problèmes sont connus, plus grandes sont les chances de réussir à y remédier. Il est possible, actuellement, d’établir les seuils d’audition  grâce aux potentiels évoquées auditifs du tronc cérébral (PEATC) chez les nouveau-nés7 et par des mesures comportementales telles que les réflexes d’orientation conditionnée chez les nourrissons plus âgés.8 Cependant, les PEATC ne fournissent aucune information sur le traitement des caractéristiques du son telles que sa tonie, sa durée et sa localisation, pas plus que sur le traitement du son par le cortex. Les mesures comportementales sont limitées du fait qu’elles n’ont ni le pouvoir ni le contrôle expérimental nécessaires pour fournir une information fiable sur chacun des nourrissons. L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) est très difficile à utiliser chez les nourrissons et les jeunes enfants à cause de l’immobilité requise et du bruit du scanner. Par conséquent, les PEC enregistrés par EEG sont une méthode de choix pour étudier le développement auditif précoce et la maturation du cortex auditif.

Contexte de la recherche

Chez les adultes, la présentation d’un son entraîne une série de potentiels évoqués (PE) obligatoires qui proviennent des aires auditives. Comme le cortex auditif se trouve autour de la scissure de Sylvius, les dépolarisations synchrones des neurones dont les axones traversent les couches du cortex ont tendance à créer au niveau du cuir chevelu des champs électriques de polarité opposée au niveau des sites frontaux et occipitaux. La série de PE comprend l’onde P1 (premier potentiel positif frontal) qui apparaît environ 50 ms après le début du stimulus, l’onde N1 à environ 100 ms et l’onde P2 à environ 180 ms. Le fait de faire attention au stimulus et d’exécuter une tâche liée au stimulus entraîne l’apparition d’autres composantes des PE. La négativité de discordance  (mismatch negativity ou MMN) est une autre composante obligatoire ou pré-attentionnelle. Elle est provoquée lors d’un paradigme « oddball » (ou stimulus discordant) dans lequel des sons (standards) répétés (ou des stimuli d’une catégorie) sont parfois remplacés par un son différent (déviant) (ou par un stimulus d’une catégorie différente).9  Le son déviant fait apparaître une onde négative additionnelle entre 150 et 250 ms après son début. La négativité de discordance est particulièrement intéressante car on pense qu’elle reflèterait la manifestation d’un mécanisme de détection automatique des changements. 

Questions clés pour la recherche

Quelles sont les trajectoires développementales des ondes P1, N1, P2 et MMN? Leur développement est-il affecté par l’expérience? Est-il possible de déterminer le développement du cortex auditif en mesurant les PEC obtenus en réponse à des stimulations sonores?

Résultats récents de la recherche

Bien que les ondes N1 et P2 soient des réponses obligatoires chez les adultes, on ne les observe clairement chez les enfants qu’après l’âge de quatre ans en réponse à des tonalités sinusoïdales et musicales.10,11 Fait digne de mention, l’amplitude des ondes N1 et P2 augmente et leur latence diminue avec l’âge, l’amplitude maximale étant atteinte chez les enfants âgés de 10 à 12 ans. L’amplitude diminue par la suite, pour atteindre la hauteur qu’elle a chez les adultes autour de l’âge de 18 ans. La trajectoire développementale des ondes N1 et P2 semble liée à la maturation des connexions neurales dans la couche II et la partie supérieure de la couche III.12 Les données provenant d’autopsies humaines montrent que l’expression des neurofilaments, qui permet une transmission rapide des signaux nerveux, ne commence à se faire dans ces couches que vers l’âge de 5 ans et qu’elle n’atteint les niveaux qu’elle a chez les adultes qu’à l’âge de 12 ans. La majorité des connexions vers d’autres aires corticales émane de ces couches, ce qui laisse à penser que cette immaturité prolongée pourrait être liée à l'immaturité du traitement descendant ou du contrôle exécutif de la perception auditive. De façon intéressante, les enfants d'âge préscolaire qui suivent des leçons de musique ont des composantes N1 et P2 équivalentes à celles qu'ont les enfants plus vieux de deux ou trois ans, ce qui laisse à penser que les leçons de musique influent sur le contrôle exécutif de l'audition.11

Bien qu'il soit difficile de mesurer les ondes N1 et P2 chez les nourrissons, il est possible de mesurer la MMN au tout début du développement.1,13 Notre recherche montre, de façon intéressante, que chez les très jeunes nourrissons, des changements occasionnels de la tonie, de la longueur d'un intervalle temporel ou de la localisation d'un son produisent une augmentation de l'amplitude d'une composante frontale positive lente. Cette composante n'est pas présente chez les adultes. Quelques mois après la naissance apparaît dans les PEC une onde MMN semblable à celle de l’adulte (une composante frontale négative plus rapide). Pour une discrimination simple de la tonie, l'onde MMN est présente dès 3 mois14,15, mais pour entendre la tonie de la fondamentale manquante, l'onde MMN n'est pas visible avant 4 mois16 et pour entendre les changements d'un motif de tonie, la réponse positive lente immature est toujours visible à 6 mois.17 Pour la détection des petits intervalles de silence dans un ton, l’onde MMN semblable à celle des adultes apparaît autour de 4 à 6 mois.18 La localisation des sons reste longtemps immature, à tel point que même à 8 mois la réponse positive lente est encore présente, mais pas l'onde MMN de type adulte.19 Ainsi, l'âge auquel apparaît une onde MMN similaire à celle des adultes dépend des caractéristiques du son à l'étude. 

Lacunes de la recherche

Ce qu'on connaît des trajectoires du développement normal est encore assez limité, car peu d'études ont été publiées dans ce domaine jusqu'à présent. Par ailleurs, il y a peu d'études concernant les interactions multi-sensorielles et leur développement. L'étude du développement de l'activité oscillatoire à travers l'analyse de la fréquence des données d’EEG constitue un domaine prometteur de la recherche récente. Les premières données suggèrent un développement prolongé pour la mise en place de l’activité des fréquences de type bêta et gamma et suggèrent des effets des leçons de musique.2,3 Finalement, pour comprendre en quoi le développement fonctionnel du cortex auditif est relié à son développement anatomique, des interfaces entre des études expérimentales humaines et animales devront avoir lieu. 

Conclusions

Il est possible d'étudier le développement de l'audition et la maturation du cortex auditif pour différentes caractéristiques du son en utilisant les potentiels évoqués cognitifs (PEC) provenant des enregistrements EEG. Le cortex auditif révèle une trajectoire développementale très longue, les réponses à de simples sons ne devenant complètement matures que vers l'âge de 18 ans. En même temps, il est possible de mesurer chez les très jeunes nourrissons les réponses du cerveau à des changements occasionnels survenant dans la répétition d'un stimulus auditif. Le moment où apparaissent les PEC de type adulte qui détectent les changements de son dépend des caractéristiques particulières du son. Ceux liés à la détection de la tonie apparaissent tôt (3 mois), ceux liés aux petits changements temporels apparaissent plus tard (4-6 mois), et les derniers à apparaître sont ceux liés à la détection de la localisation du son et à la détection des motifs de tonie (après 8 mois).

Implications pour les parents, les services et les politiques

Il est crucial de détecter tôt les problèmes du traitement auditif central (lorsque les seuils d'audibilité sont normaux) parce qu'une grande partie de l'acquisition du langage et de la musique a lieu pendant la petite enfance. Les PEC enregistrés par EEG offrent la possibilité d'identifier les normes d'âge auxquelles sont atteintes diverses étapes du développement. Il devrait être possible de les utiliser pour évaluer si, individuellement, les nourrissons sont sur une trajectoire de maturation normale.

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Pour citer cet article :

Trainor LJ. Mesure de la maturation du cortex auditif chez le nourrisson par électroencéphalographie (EEG) : traitement de la hauteur du son, de la durée et de la localisation des sons.. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/cerveau/selon-experts/mesure-de-la-maturation-du-cortex-auditif-chez-le-nourrisson-par. Publié : Septembre 2010. Consulté le 23 avril 2024.

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