L’étiologie de l’autisme


Université McGill, Canada

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Introduction

Au cours des dernières années, une transition s’est effectuée dans notre compréhension de l’autisme : ce trouble, qu’on définissait auparavant de façon étroite et catégorique, est maintenant considéré comme un spectre de conditions qui affecte de différentes façons les individus touchés.1 L’impact de l’autisme varie : certains individus atteints peuvent mener une vie autonome et accomplie, mais plusieurs éprouvent des difficultés considérables sur les plans médical, éducatif et social, difficultés qui ont un sérieux effet négatif sur leur qualité de vie.2 L’hétérogénéité de la condition a mené certains scientifiques à suggérer que l’autisme n’est pas un phénomène unique et qu’il existe probablement plusieurs « autismes » ayant différents processus biologiques sous-jacents et différentes trajectoires développementales.

Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux actuellement en vigueur inclut le « trouble autistique » (ou autisme), le « trouble d’Asperger » et le « trouble envahissant du développement non-spécifié » dans les sous-catégories d’autisme. La recherche n’a pas, à ce jour, réussi à dresser le portrait complet de ces sous-groupes cliniques en élaborant l’étiologie spécifique de chaque trouble ou la trajectoire développementale menant à chacun. Aujourd’hui, on reconnaît de plus en plus l’hétérogénéité de l’expression de la condition, qui se manifeste sur de nombreuses dimensions phénotypiques. On observe aussi que ces dimensions chevauchent celles retrouvées dans d’autres conditions et dans la population générale.4,5 En conséquence, dans la prochaine édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, les sous-catégories actuelles seront remplacées par une catégorie unique nommée « trouble du spectre autistique ».

Résultats de recherche récents

Les études de jumeaux et les études familiales ont démontré que des facteurs à la fois génétiques et non-génétiques contribuent à une vulnérabilité accrue à l’autisme.6 Certains facteurs génétiques sont plus fortement impliqués que d’autres et on a identifié un ensemble hétérogène de trajectoires menant au trouble plutôt qu’une trajectoire causale unique. De plus en plus de résultats suggèrent, cependant, l’implication de facteurs de risque génétiques qui interfèrent avec le développement et la plasticité des synapses. Les facteurs de risque incluent des variantes génétiques communes et rares, de même que des facteurs non-génétiques. Les variantes génétiques communes observées n’ont pas tendance à être associées à un taux d’autisme beaucoup plus élevé que celui de la population générale, mais la réplication des études sur ces variantes et la confirmation de leur rôle sont toujours attendues. Les associations plus claires avec l’autisme impliquent de rare variantes du nombre de copies (c.-à-d. qui surviennent chez moins de 1 % de la population générale).6,7  De plus, un chevauchement important est observé entre certains syndromes génétiques rares et l’autisme.

Actuellement, des études à grande échelle sont en cours pour déterminer dans quelle mesure chaque facteur de risque génétique est impliqué dans l’étiologie du trouble. Aucune des variantes génétiques identifiées jusqu’à présent ne peut être considérée cliniquement utile pour le dépistage de l’autisme dans la population générale.8 Toutefois, la détection de variantes génétiques chez les individus ayant reçu un diagnostic de trouble développemental, notamment d’autisme, vise à améliorer les soins médicaux, en permettant 1) d’identifier les variantes qui pourraient entraîner des problèmes médicaux comorbides (par ex., les complications médicales, comme l’épilepsie, associées à la sclérose tubéreuse et aux syndromes de microdélétion/microduplication, ainsi que les problèmes rénaux et gastro-intestinaux); 2) d’établir les risques de récurrence potentielle chez la future progéniture de parents ayant déjà un enfant atteint du trouble. Les facteurs non-génétiques qui accroissent le risque d’autisme sont toujours très peu compris et pourraient inclure des facteurs épigénétiques et environnementaux.9 Les interactions entre les facteurs génétiques et non-génétiques peuvent, par des mécanismes complexes, contribuer encore davantage au risque d’autisme.10

Les comportements caractéristiques de l’autisme apparaissent d’abord puis évoluent au fil des quelques premières années de développement postnatal. Des études récentes menées auprès de nourrissons à risque de développer le trouble suggèrent que des altérations dans le développement du cerveau débutent bien avant l’apparition des symptômes comportementaux.11 Cependant, l’expression précoce de l’autisme est variable chez les bébés, à la fois sur les plans cérébral et comportemental, et les différentes trajectoires développementales qui s’ensuivent divergent avec le temps.10 À l’âge adulte, l’autisme est associé à des différences dans une large gamme de systèmes neurobiologiques. Plusieurs ont suggéré que l’autisme est la conséquence d’un processus de spécialisation atypique de réseaux cérébraux variés, plus particulièrement dans le cerveau social.10

Lacunes de la recherche

La communauté concernée par l’autisme espère fortement que la base de connaissances actuelles disponibles pourra être utilisée pour identifier des marqueurs biologiques valides pour ce trouble, actuellement défini sur la base de critères comportementaux uniquement, et que ceci permettra l’avancement de la recherche et de la pratique. La découverte de biomarqueurs pourrait non seulement révéler les causes de l’autisme, mais aussi être utile en milieu clinique pour compléter ou améliorer son diagnostic comportemental et permettre sa détection précoce. Récemment, des techniques génétiques moléculaires (par ex., la puce d’hybridation génomique comparative ou chromosomal microarray analysis, CMA) ont été développées pour la détection de délétions et de duplications sous-microscopiques. Plusieurs rapports nés d’un consensus entre les scientifiques et l’industrie ont recommandé l’utilisation de ces techniques plus puissantes pour déceler les anormalités génomiques chez les individus qui présentent un trouble parmi une large gamme de troubles développementaux désignés, dont l’autisme. Les études utilisant la CMA pour tester de très grands échantillons d’individus ayant déjà reçu un diagnostic de trouble développemental ont montré qu’une forme quelconque d’anomalie génétique touchait 5 à 10 % de ces individus.7 En plus d’indiquer les problèmes médicaux comorbides potentiels et le risque de récurrence, le test CMA pourrait aider les familles à comprendre la contribution génétique à la condition et ainsi les éclairer sur les causes ou facteurs possibles menant à l’autisme.

Il n’existe pas actuellement de lignes directrices du milieu scientifique ou de l’industrie sur la façon dont les résultats de CMA devraient être rapportés aux participants, mais les premiers pas vers de telles lignes directrices ont été faits.7 Les tentatives d’application des nouvelles découvertes génomiques à des tests cliniques ont entraîné des réactions mitigées de la part de la communauté scientifique et du public.7,12 Les difficultés naissent souvent dans les cas où des variantes génétiques sont identifiées mais leur signification clinique reste incertaine. Étant donné l’information limitée disponible sur ces variantes, une prédiction précise du risque de récurrence et des issues développementales de la personne atteinte n’est pas encore possible dans la plupart des cas. Dans le futur, un défi scientifique central sera de développer des bases de données de variantes génétiques suffisamment larges pour évaluer l’utilité clinique de ces variantes, prises individuellement ou en combinaison avec d’autres facteurs de risque génétiques et non-génétiques.

D’autres tentatives d’application des connaissances disponibles sur les bases neurobiologiques de l’autisme à des outils utiles pour le dépistage et l’intervention ont aussi rencontré un certain nombre de défis scientifiques importants. Premièrement, l’expérience acquise dans d’autres domaines de la recherche biomédicale illustre à quel point il est difficile d’appliquer la découverte de biomarqueurs à des évaluations cliniques. Très peu de biomarqueurs utiles sur le plan clinique ont été identifiés pour des conditions neuropsychiatriques jusqu’à présent. Deuxièmement, l’identification de biomarqueurs de l’autisme s’est jusqu’à présent avérée infructueuse, en partie parce que la définition de la condition a changé considérablement au fil du temps et est toujours en évolution. Les chercheurs ont principalement mis l’accent sur l’identification de biomarqueurs associés à des catégories définies cliniquement, mais de telles catégories ne correspondent plus à la conception actuelle de plus en plus multidimensionnelle et complexe du phénotype clinique, cognitif et comportemental associé à l’autisme et elles négligent le chevauchement du phénotype autistique avec celui d’autres troubles. Troisièmement, l’identification de biomarqueurs de l’autisme qui restent stables au cours du développement présente des défis particuliers, parce que les manifestations phénotypiques de ce trouble se dévoilent au fil du temps, particulièrement au cours des premières années de la vie, ce qui indique la présence d’interactions développementales dynamiques entre de multiples facteurs de risque.10 Quatrièmement, plusieurs biomarqueurs proposés ne se sont pas révélés universels et aucun d’entre eux n’a permis de déceler la présence d’autisme dans une majorité de cas (piètre sensibilité). Les biomarqueurs candidats ont aussi tendance à être associés à plusieurs autres conditions neurodéveloppementales et pas seulement à l’autisme (piètre spécificité). Finalement, la mesure de certains biomarqueurs putatifs est actuellement coûteuse, laborieuse et tributaire d’un haut niveau d’expertise technique, ce qui restreint la possibilité d’application dans la plupart des milieux cliniques.

Conclusion et implications pour les parents, les services et les politiques

Malgré des progrès majeurs dans la compréhension des facteurs génétiques, neurobiologiques et développementaux qui sous-tendent l’autisme, plusieurs aspects de ce trouble sont toujours très peu compris. Les récentes tentatives d’application des connaissances actuelles de la neurobiologie de l’autisme à des tests utiles sur le plan clinique se sont heurtées à des défis scientifiques et sociétaux. Ces défis soulignent l’hétérogénéité biologique de l’autisme, qui contribue à son portrait complexe. Les informations que reçoit le public général, cependant, reflètent rarement ce niveau de complexité.

La communauté scientifique doit continuer à développer sa conception de l’autisme selon laquelle il s’agit d’une condition complexe probablement déterminée par de multiples trajectoires qui n’ont pas encore été comprises et qui mènent à des issues hétérogènes. Idéalement, la découverte de biomarqueurs devrait mener à une compréhension accrue de la nature complexe du spectre de l’autisme, plutôt qu’à une conception déterministe ou réductrice de ce trouble.

Les défis majeurs à surmonter sont notamment l’absence actuelle d’une contribution systématique de la communauté touchée par l’autisme et le manque de recherche sur ce qui détermine les perspectives des différents individus touchés. Si l’on néglige de mettre les résultats émergents en neurobiologie dans le contexte des besoins uniques des diverses communautés affectées, on ne peut qu’amoindrir la valeur potentielle de ces résultats scientifiques. L’implication accrue des familles et des cliniciens dans la recherche, par des processus de transfert des connaissances adéquatement supportés, améliorera l’intégration des résultats de recherche à la pratique. En mettant les connaissances scientifiques existantes et émergentes dans le contexte des expériences réelles des familles affectées, les communications scientifiques sur les biomarqueurs de l’autisme pourraient atteindre leur objectif principal, celui d’informer le public en contribuant à un transfert des connaissances éthique. Éventuellement, les décisions et la préparation des parents pourraient être mieux supportées s’ils savaient laquelle des nombreuses formes d’autisme pourrait se développer chez leur enfant. En attendant, les familles ont le droit de recevoir des informations fondées scientifiquement sur les causes et les manifestations biologiques de l’autisme ainsi que des services appuyés sur des résultats de recherche probants.

Références

  1. Wing, L. The Autistic Spectrum: A Guide for Parents and Professionals. London: Constable; 1996.
  2. Farley, M. A. et al. Twenty-year outcome for individuals with autism and average or near-average cognitive abilities. Autism Res. 2009; 2: 109–118.
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  5. Volkmar, F. R., State, M. & Klin, A. Autism and autism spectrum disorders: diagnostic issues for the coming decade. J. Child. Psychol. Psychiatry 2009; 50: 108–115.
  6. Abrahams, B. S. & Geschwind, D. H. Advances in ASD genetics: on the threshold of a new neurobiology. Nature Rev. Genet. 2008; 9: 341–355.
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  10. Elsabbagh, M. & Johnson, M. H. Getting answers from babies about autism. Trends Cogn. Sci. 2010; 14: 81–87.
  11. Elsabbagh, M. et al. Infant neural sensitivity to dynamic eye gaze is associated with later emerging autism. Current biology. 2012; 22,4: 338-342.
  12. Pellicano, E. & Stears, M. Bridging autism, science and society: moving toward an ethically informed approach to autism research. Autism Res.2011; 4: 271–282.

Pour citer cet article :

Elsabbagh M, McBreen M. L’étiologie de l’autisme. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Elsabbagh M, Clarke ME, eds. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/autisme/selon-experts/letiologie-de-lautisme. Publié : Juillet 2012. Consulté le 28 mars 2024.

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